Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
l’époque de Julien, les prêtres du paganisme
avaient seuls employé ces supercheries pour le soutien d’une cause qui se
perdait, la considération des intérêts et des habitudes de l’ordre sacerdotal
pourrait disposer à quelque indulgence ; mais on est surpris et scandalisé que
lias philosophes eux-mêmes aient voulu abuser de la crédulité superstitieuse
des hommes [2586] ,
et qu’ils aient cherché à soutenir les mystères grecs par la magie ou théurgie
des platoniciens. Ils se vantaient audacieusement de pouvoir contempler l’ordre
mystérieux de la nature, pénétrer les secrets de l’avenir, commander aux démons
inférieurs, jouir de la vue et de la conversation des dieux supérieurs, et, en
dégageant l’Ame denses liens matériels, réunir à l’esprit divin cette
immortelle particule de son être infini.
La dévote et entreprenante curiosité de Julien offrait aux
philosophes une conquête aisée, et qui, d’après le rang du jeune prosélyte,
pouvait devenir d’une grande importance. Ædèse, qui venait d’établir à Pergame
son école errante et persécutée, enseigna au prince les premiers éléments de la
doctrine des platoniciens. Mais les forces défaillantes de ce vénérable sage ne
pouvant suffire à l’ardeur, au zèle et à la conception rapide de son élève,
celui-ci désira qu’il se fît remplacer par Chrysanthe et Eusèbe, deux de ses
plus habiles disciples. Il paraît que ces philosophes se distribuèrent les
rôles, et qu’après avoir ex-cité l’impatient espoir de l’aspirant par de
feintes disputes et d’obscures insinuations, ils le mirent entre les mains de
leur associé Maxime, le plus effronté et le plus adroit de tous les maîtres de
théurgie [2587] .
Ce fut par lui que Julien, alors âgé de vingt ans, fût secrètement initié à
Éphèse. Sa résidence à Athènes confirma cette alliance monstrueuse de la
philosophie et de la superstition. On voulut bien l’initier solennellement aux
mystères d’Éleusis, qui, au milieu de la décadence générale de l’idolâtrie,
conservaient encore quelques vestiges de leur première sainteté ; et tel était
son zèle, qu’il appela ensuite le pontife d’Éleusis à la cour des Gaules,
uniquement pour achever, par nies cérémonies et des sacrifices, le grand
ouvrage de sa sanctification. Comme les cérémonies se faisaient au fond des
cavernes et dans le silence de la nuit, et que la discrétion des initiés n’en
violait jamais le secret, je n’ai pas la prétention de pouvoir décrire
l’épouvantable bruit et les flamboyantes apparitions qu’on offrait aux sens ou
à l’imagination du crédule prosélyte [2588] ,
jusqu’au moment où des visions consolantes et instructives se présentaient
environnées de l’éclat d’une lumière céleste [2589] . Un
enthousiasme profond, inaltérable et sincère, pénétra l’esprit de Julien dans
les cavernes d’Éphèse et d’Éleusis ; ce qui ne l’empêcha pas d’y mêler
quelquefois dans sa conduite ces fraudes pieuses et cette hypocrisie, qu’on
petit remarquer ou du moins soupçonner chez les fanatiques qui semblent avoir
le plus de bonne foi. Dès cet instant, il consacra sa vie au service des dieux,
et lorsque l’étude et les travaux de la guerre et de l’administration vinrent à
employer tous les instants de sa journée, plusieurs heures de la nuit furent
invariablement consacrées à ses dévotions particulières. La sobriété qui ornait
en lui les mœurs sévères du guerrier et du philosophe, était rigoureusement
assujettie à des règles frivoles d’abstinence religieuse ; et, afin de plaire à
Pan ou à Mercure, à Hécate ou à Isis, il se privait, à certains jours, de
divers aliments qu’il croyait odieux à ces divinités tutélaires. Par ces
jeûnes, il préparait ses sens et son esprit aux visites fréquentes et
familières dont l’honoraient les puissances célestes. Malgré son modeste
silence, nous savons de l’orateur Libanius, son fidèle ami, qu’il vivait dans
un commerce habituel avec les dieux et les déesses ; que ces divinités
descendaient sur la terre pour jouir de la conversation de leur héros favori ;
qu’elles interrompaient doucement son sommeil en touchant ses mains ou ses
cheveux ; qu’elles l’avertissaient de tous les dangers dont il se trouvait
menacé ; que leur sagesse infaillible le guidait dans chacune des actions de sa
vie, et qu’enfin il était si familiarisé avec elles, qu’il
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