Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
zèle de Julien, qui inventa
et publia une nouvelle explication de cette fable ancienne et mystérieuse.
Cette liberté d’interprétation, qui pouvait satisfaire l’orgueil des
platoniciens, montrait la vanité de leur art. On ne pourrait, sans entrer dans
de fastidieux détails, donner à un lecteur moderne une juste idée des allusions
bizarres, des étymologies forcées, des pompeuses minuties, et de l’obscurité
impénétrable de ces sages qui avaient la pénétration de dévoiler le système de
l’univers. Les traditions de la mythologie païenne n’étant pas uniformes, les
interprètes sacrés demeuraient libres de choisir les particularités qui leur
convenaient le plus ; et comme ils traduisaient un chiffre arbitraire, ils
étaient les maîtres d’attribuer à quelque fable que ce fût le sens quelconque
dont ils pouvaient avoir besoin pour l’adapter a leur système favori de
religion et de philosophie. Ils mettaient leur esprit à la torture pour
découvrir d’ans les attraits lascifs d’une Vénus sans voile un précepte moral
ou une vérité physique ; et l’hommage insensé d’Atys représentait la révolution
du soleil entre les tropiques, ou le mouvement de l’âme qui se détache du vice
et de l’erreur [2582] .
Il paraît que le système théologique de Julien contenait les
importants et sublimes principes de la religion naturelle. Mais la foi qui ne
repose pas sur la révélation, manquant d’un ferme appui, le disciple de Platon
retomba imprudemment dans les habitudes de la superstition vulgaire ; et il
semble avoir confondu dans la pratique, dans ses écrits et même dans ses idées,
les notions populaires et les notions philosophiques de la Divinité [2583] . Il
reconnaissait et il adorait la cause éternelle de l’univers ; il lui attribuait
toutes les perfections d’une nature infinie, invisible aux yeux, et
inaccessible à l’intelligence des faibles mortels. D’après son système, le Dieu
suprême avait créé, ou plutôt, dans la langue des platoniciens, il avait
engendré la chaîne graduelle des esprits subordonnés, savoir, les dieux, les
démons, les héros et les bommes ; et tout être qui tirait son existence
immédiate de la cause première, en avait reçu l’immortalité inhérente à sa
nature. Afin que d’indignes objets ne partagent pas un avantage si précieux, le
Créateur, disait-il, a confié à l’habileté et à la puissance des dieux
inférieurs le soin de former le corps de l’homme, et de disposer la belle
harmonie du règne animal ainsi que des deux autres ; il a remis à la conduite
de ses divins ministres le gouvernement temporel de notre monde subalterne :
mais leur administration imparfaite n’est pas exempte de discorde et d’erreur.
Ils partagent entre eux le soin de la terre et de ses habitants, et on peut
découvrir les caractères de Mars ou de Minerve, de Mercure ou de Vénus, dans
les lois et les mœurs de leurs sectaires particuliers. Tant qu’une prison
mortelle renferme nos âmes immortelles, il est de notre intérêt et de notre devoir
de solliciter la faveur et de conjurer la colère des puissances du ciel, dont
l’orgueil est flatté de la dévotion des hommes, et il y a lieu de croire que la
partie la plus grossière de leur être tire sa nourriture de la fumée des
sacrifiées [2584] .
Les divinités inférieures daignent quelquefois animer les statues et habiter
les temples élevés en leur honneur ; elles visitent la terre de temps en temps
; mais les cieux sont leur trône et le symbole de leur gloire. Julien tirait,
sans hésiter, de l’ordre invariable qu’observent le soleil, la lune et les
étoiles, une preuve de leur durée éternelle ; et cette éternité lui
démontrait suffisamment qu’ils étaient l’ouvrage, non pas d’une divinité
inférieure, mais du roi tout-puissant. Dans la théorie des platoniciens, le
monde visible est le type du monde invisible. Les corps célestes, animés de
l’esprit divin, peuvent être considérés comme les plus dignes objets du culte
religieux. Le soleil, dont l’heureuse chaleur pénètre et soutient l’univers,
réclame à juste titre l’adoration du genre humain, comme l’éclatante
représentation du logos, image animée, intelligente et bienfaisante, du père
intellectuel [2585] .
Les puissantes illusions de l’enthousiasme et les artifices
décevants de l’imposture suppléent dans tous les siècles au défaut d’une
véritable inspiration. Si, à
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