Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
sûreté, ne leur permettait pas de
poursuivre longtemps l’ennemi après l’action ; et les cavaliers de l’Orient,
habitués à lancer au galop, et dans toutes les directions possibles [2791] , leurs
javelines et leurs traits, ne se montraient jamais plus formidables qu’au
moment d’une fuite rapide et désordonnée. Pour les Romains, d’ailleurs, de
toutes les pertes, la plus irréparable était celle du temps. Les braves
vétérans, accoutumés au climat froid de la Gaule et de la Germanie, étaient
accablés par la chaleur brûlante de l’été d’Assyrie ; des marches et ces
combats perpétuels épuisaient leur vigueur, et les précautions qu’exigeait une
retraite dangereuse devant un ennemi actif, ralentissaient leur marche. Chaque
jour, chaque heure augmentait la valeur et le prix des vivres dans le camp [2792] . Julien, qui se
contentait d’une nourriture qu’aurait dédaignée un soldat affamé, distribuait à
ses troupes les provisions destinées à sa maison, et tout ce qu’il pouvait
épargner sur les gens de bagage des tribuns et des généraux mais ce faible
secours faisait mieux sentir la détresse générale ; et les Romains, dans leurs
sombres appréhensions, commençaient à se persuader qu’avant d’arriver aux
frontières de l’empire, ils périraient tous par la famine ou parle glaive des
Barbares [2793] .
A cette époque où Julien luttait contre les insurmontables
difficultés de sa situation, il donnait encore à l’étude et à la contemplation
les heures silencieuses de la nuit. Lorsqu’il fermait les yeux pour se livrer
quelques moments à un sommeil interrompu, des angoisses pénibles agitaient ses
esprits ; et il ne faut pas s’étonner que dans ces moments de trouble il ait pu
voir le génie de l’empire couvrant d’un voile funèbre sa tête et sa corne
d’abondance, et s’éloignant lentement des tentes impériales. Le monarque quitta
précipitamment sa couche, et, étant sorti de sa tente pour calmer ses esprits
par la fraîcheur de l’air de la nuit, il aperçut un météore de feu qui traversa
le ciel, et s’évanouit au même instant. Il croyait fermement avoir aperçu la
figure menaçante du dieu de la guerre [2794] .
Les aruspices toscans qu’il rassembla [2795] prononcèrent d’une voix unanime qu’il ne devait pas livrer de combat ; mais la
raison et la nécessité l’emportèrent sur la superstition, et à la pointe du
jour les trompettes sonnèrent la charge. L’armée s’avança à travers un pays
coupé de collines dont les Persans s’étaient rendus maîtres. Julien conduisait
l’avant-garde avec l’habileté et l’attention d’un général consommé : on vint
l’avertir que l’ennemi tombait sur son arrière-garde. La chaleur l’ayant
déterminé à quitter sa cuirasse, il arracha un bouclier des mains de l’un de
ses soldats, et courut, à la tête d’un renfort considérable, pour soutenir ses
derrières. La tête de l’armée, bientôt attaquée, le rappela à sa défense, et au
moment où il traversait au galop les intervalles des colonnes, le centre de la
gauche fut assailli et presque écrasé par l’impétuosité de la cavalerie et des
éléphants. Une évolution de l’infanterie légère, qui fit tomber adroitement ses
traits sur le dos des cavaliers et sur les jambes des éléphants, ne tarda pas
à. mettre en déroute cette masse effrayante de guerriers et d’animaux. Les
Barbares prirent la fuite ; et Julien, qui se montrait toujours à l’endroit le
plus dangereux, excitait ses troupes de la voix et du geste à la poursuite des
Persans. Ses gardes tremblants, dispersés ou, pressés par la foule tumultueuse
des amis et des ennemis, avertirent leur intrépide souverain qu’il n’avait
point d’armure, et le conjurèrent de se soustraire au péril qui le menaçait [2796] . A l’instant
même, les escadrons en déroute firent pleuvoir une grêle de dards et de traits
; et une javeline, après avoir rasé le bras de l’empereur, lui perça les côtes
et se logea dans la partie inférieure du foie. Julien essaya d’arracher de ses
flancs le trait mortel ; mais le tranchant de l’acier lui coupa les doigtas, et
il tomba de cheval sans connaissance. Ses gardes volèrent à son secours, et,
relevé avec précaution, il fut porté, du milieu de l’action dans une tente
voisine. Cette affreuse nouvelle se répandit, de rang en rang ; la douleur des
Romains leur donna une valeur invincible et leur inspira le désir
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