Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
villes
fortifiées : ils chassaient leur bétail devant eux, mettaient le feu aux
fourrages et aux champs de blés mûrs ; et à la fin de l’incendie, qui
interrompait la marche des soldats, l’empereur n’avait plus devant lui que le
désolant aspect d’une terre déserte, fumante et dépouillée. Ce moyen désespéré,
mais efficace, ne peut être employé que par l’enthousiasme d’un peuple qui met
l’indépendance au-dessus des richesses, ou par la rigueur d’un gouvernement
absolu qui s’occupe de la sûreté publique sans laisser à ses sujets la liberté
du choix. Le zèle et l’obéissance des Persans secondèrent en cette occasion les
ordres de Sapor, et bientôt Julien se vit réduit à la faible provision de
vivres qu’il avait conservée, et qui diminuait chaque jour entre ses mains.
L’effort d’une marche rapide et bien dirigée pouvait le conduire, avec ce qu’il
en restait, aux portes des villes riches et peu guerrières d’Ecbatane et de
Suse [2789] .
Mais comme il ne savait pas les chemins et qu’il fut trompé par ses guides,
cette dernière ressource lui manqua. Ses troupes errèrent plusieurs jours dans
le pays qui se trouve à l’orient de Bagdad ; le déserteur persan, après les
avoir amenées dans le piège, échappa à leur fureur, et les soldats de sa suite,
mis à la torture, avouèrent le secret de la conspiration. Les conquêtes
imaginaires de l’Hyrcanie et de l’Inde, qui avaient si longtemps amusé l’esprit
de Julien, faisaient alors son tourment. Sentant bien chue la détresse générale
était le résultat de son imprudence, il balança avec inquiétude, sans obtenir
une réponse satisfaisante des dieux ou des hommes, les différentes chances de
succès ou de salut qui pouvaient lui demeurer encore. Il adopta enfin le seul
expédient praticable ; il résolut de se diriger vers les bords du Tigre,
espérant sauver son armée par une marche forcée vers les confins de la
Corduène, province fertile qui reconnaissait la souveraineté de Rome. Lorsqu’on
donna aux troupes découragées le signal de la retraite, il lie s’était écoulé
que soixante-dix jours depuis qu’elles avaient passé le Chaboras (16 juin),
bien convaincues qu’elles renverseraient le trône de la Perse [2790] .
Tant que l’armée parut continuer à s’avancer dans le pays,
sa marche fut harcelée pax différents corps de cavalerie persane, qui, se
montrant quelquefois en bandes détachées, et d’autres fois en troupes réunies,
escarmouchèrent contre l’avant-garde ; mais des forces plus considérables
soutenaient ces détachements, et du moment où les colonnes tournèrent vers le
Tigre, on vit un nuage de poussière s’élever sur la plaine. Les Romains, qui ne
songeaient plus qu’à se retirer à la hâte et sans accident, tâchèrent
d’attribuer cette inquiétante apparition à l’approche de quelques troupes
d’onagres, ou d’une tribu d’Arabes amis. Ils s’arrêtèrent, dressèrent leurs
tentes, fortifièrent leur camp, passèrent la nuit dans de continuelles alarmes,
et découvrirent, à la pointe du jour, qu’une armée de Persans les environnait.
Cette armée, qui n’était encore que l’avant-garde dés Barbares, fut bientôt
suivie d’un immense corps de cuirassiers, d’archers et d’éléphants, que
commandait Meranes, général dune grande réputation. Il était accompagné de deux
fils du roi et des principaux satrapes : la renommée et la crainte exagérèrent
la force du reste des troupes, qui s’avançaient lentement sous la conduite de
Sapor. Les Romains s’étant remis en marche, leur longue ligne, obligée de se
plier ou de se diviser, selon que l’exigeait le terrain, offrit souvent des
occasions heureuses à leur vigilant ennemi. Les Perses attaquèrent avec fureur
à diverses reprises ; les Romains les repoussèrent toujours avec fermeté ; et,
au combat de Maronga, qui mérite presque le nom d’une bataille, Sapor perdit un
grand nombre de satrapes, et, ce. qui avait peut-être à ses yeux le même prix,
un grand nombre d’éléphants. Julien, pour obtenir ces succès, perdait à peu
près autant de monde que l’ennemi ; plusieurs officiers de distinction furent
tués ou blessés ; et l’empereur, qui, dans tous les périls, inspirait et
guidait la valeur de ses troupes, fut obligé d’exposer sa personne et de
déployer tous ses talents. Le poids des armes offensives et défensives, des
Romains, qui faisaient leur force et leur
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