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Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Titel: Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edward Gibbon
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de la
vengeance. Les deux armées se battirent avec fureur jusqu’à ce qu’elles fussent
séparées par la profonde obscurité de la nuit. Les Persans tirèrent quelque
gloire de l’avantage qu’ils obtinrent contre l’aile gauche, où Anatolius,
maître des offices, fut tué, et où le préfet Salluste manqua de périr. Mais
l’issue de la journée fut contraire aux Barbares ; ils abandonnèrent le
champ de bataille ; ils y laissèrent Meranes et Nohordates [2797] , leurs deux
généraux, cinquante nobles ou satrapes, et une multitude de leurs plus braves
soldats ; et si Julien eût survécu, ce succès des Romains aurait pu avoir les
suites d’une victoire décisive.
    Les premiers mots que prononça Julien lorsqu’il fut revenu
de l’évanouissement occasionné par la perte de son sang annoncèrent sa valeur.
Il demanda son cheval et ses armes, et il voulait se jeter de nouveau au milieu
des combattants. Ce pénible effort acheva de l’épuiser, et les chirurgiens qui
examinèrent sa blessure, découvrirent les symptômes d’une mort très prochaine.
Il employa ses derniers moments avec la tranquillité d’un héros et d’un sage.
Les philosophes qui l’avaient suivi dans cette fatale expédition comparèrent sa
tente à la prison de Socrate et ceux que le devoir, l’attachement ou la
curiosité avaient rassemblés au tour de sa couche, écoutèrent avec une douleur
respectueuse ces dernières paroles de leur empereur mourant [2798] : Mes amis
et mes camarades , leur dit-il, la nature me redemande ce qu’elle m’a
prêté ; je le lui rends avec la joie d’un débiteur qui s’acquitte, et non point
avec la douleur ni les remords que la plupart des hommes croient inséparables
de l’état où je suis. La philosophie m’a convaincu que l’âme n’est vraiment
heureuse que lorsqu’elle est affranchie des liens du corps, et qu’on doit
plutôt se réjouir que s’affliger lorsque la plus noble partie de nous-mêmes se
dégage de celle qui la dégrade et qui l’avilit. Je fais aussi réflexion que les
dieux ont souvent envoyé la mort aux gens de bien comme la plus grande
récompense dont ils pussent couronner leur vertu [2799] . Je la
reçois à titre de grâce ; ils veulent m’épargner des difficultés qui
m’auraient fait succomber, sans doute, ou commettre quelque action indigne de
moi. Je meurs sans remords, parce que j’ai vécu sans crime, soit dans les temps
de ma disgrâce, lorsqu’on m’éloignait de la cour et qu’on me confinait dans des
retraites obscures et écartées, soit depuis que j’ai été élevé au pouvoir
suprême. J’ai regardé le pouvoir dont j’étais revêtu comme une émanation de la
puissance divine : je crois l’avoir conservée pure et sans tache, en gouvernant
avec douceur les peuples confiés à mes soins, et ne déclarant ni ne soutenant
la guerre que par de bonnes raisons. Si je n’ai pas réussi, c’est que le succès
ne dépend, en dernier ressort, que du bon plaisir des dieux. Persuadé que le
bonheur des sujets est la fin unique de tout gouvernement équitable, j’ai
détesté le pouvoir arbitraire, source fatale de la corruption des mœurs et des
États. J’ai toujours eu des vues pacifiques, vous le savez ; mais dès que la
patrie m’a Lit entendre sa voix et m’a commandé de courir aux dangers, j’ai
obéi avec la soumission d’un fils aux ordres absolus d’une mère. J’ai considéré
le péril d’un œil fixe, je l’ai affronté avec plaisir. Je ne vous dissimulerai
point qu’on m’avait prédit, il y a longtemps, que je mourrais d’une mort
violente. Ainsi je remercie le dieu éternel de n’avoir pas permis que je
périsse ni par une conspiration, ni par les douleurs d’une : longue maladie, ni
par la cruauté d’un tyran. J’adore sa bonté sur moi de ce qu’il m’enlève du
monde par un glorieux trépas, au milieu d’une course glorieuse ; puisqu’à juger
sainement des choses, c’est une lâcheté égale de souhaiter la mort lorsqu’il
serait à propos de vivre, et de regretter la vie lorsqu’il est temps de mourir.
Mes forces m’abandonnent ; je ne puis plus vous parler . — Quant à
l’élection d’un empereur, je n’ai garde de prévenir votre choix ; le mien
pourrait mal tomber, et perdrait peut-être, si on ne le suivait pas, celui que
j’aurais désigné. Mais, en bon citoyen, je souhaite d’être remplacé par un
digne successeur . Après ce discours prononcé d’une voix douce et ferme,

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