Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
au-dessus de
leurs égaux ; mais ils sont rarement exempts d’ambition, et leur succès est
souvent souillé par le crime d’une conspiration ou par les horreurs d’une
guerre civile. Dans les gouvernements même qui autorisent le monarque régnant à
se nommer un collègue ou un successeur, son choix, rarement impartial et exposé
à l’influence des plus aveugles passions, doit tomber bien souvent sur le moins
digne objet ; mais l’envie la plus soupçonneuse ne put supposer à Théodose, au
fond de sa retraite de Caucha, ni les artifices, ni les désirs, ni même les
espérances d’un politique ambitieux. Le nom d’un exilé eût été oublié depuis
longtemps, si l’éclat de ses vertus naturelles n’avait pas laissé une
impression profonde dans la cour impériale. On l’avait négligé dans les temps
de prospérité, mais dans la crise du danger, son mérite fut universellement
senti et avoué. Quelle confiance ne devait pas avoir Gratien dans la probité de
Théodose, lorsqu’il comptait que ce fils sensible, oublierait, pour l’amour de
la patrie, le meurtre de son père ! Quelle opinion on manifestait de ses
talents lorsqu’en le nommant, on plaçait en un seul homme l’espoir du salut et
du rétablissement de l’empire d’Orient ! Théodose monta sur le trône dans la
trente-troisième année de son âge. Le peuple admirait sa figure noble et sa
taille majestueuse et pleine de grâce, qu’il se plaisait à comparer aux
portraits et aux médailles de Trajan, tandis que les observateurs attentifs
découvraient dans son cœur et dans son esprit une ressemblance plus précieuse
avec le plus grand et le meilleur des empereurs romains.
C’est avec le regret le plus sincère que je me vois privé
d’un guide exact et impartial qui a écrit l’histoire de son siècle, sans se
livrer aux passions et aux préjugés dont un contemporain se garantit
difficilement. Ammien Marcellin, qui a terminé son utile ouvrage par la défaite
et la mort de Valens, recommande l’histoire glorieuse du règne suivant à
l’éloquence vigoureuse de la génération naissante [3113] ; mais cette
génération négligea son avis, et n’imita point son exemple [3114] ; et dans la
recherche des faits du règne de Théodose ; nous sommés réduits,â démêler la
vérité des récits peu impartiaux de Zozime, au moyen de quelques passages
obscurs tirés de divers fragments et de quelques chroniques ; du langage outré
ou figuré des panégyriques et des Poésies, et du secours suspect des écrivains
ecclésiastiques., qui dans la chaleur des factions religieuses, sont souvent
disposés à négliger des vertus profanes, telles que la modération et la
sincérité. Pénétré de ces désavantages, auxquels je vais me trouver exposé
pendant une portion considérable de ce qui me resté à tracer du déclin et de la
chute de l’empire romain, je n’avancerai désormais qu’armé du doute et de la
précaution. Je puis cependant assurer hardiment que Théodose ne se vengea de la
bataille d’Adrianople par aucune victoire signalée ou décisive sur les
Barbares, et le silence non équivoque de ses panégyristes à cet égard est
confirmé par l’examen des temps et des circonstances. La constitution d’un
vaste empire, élevé par les travaux et la prospérité d’une longue suite de
siècles, n’aurait pas été détruite par l’infortune d’un seul jour, si les
terreurs de l’imagination n’avaient pas exagéré l’étendu’ de cette calamité. La
perte de quarante mille Romains, qui périrent dans les plaines d’Adrianople,
pouvait être facilement réparée par les provinces peuplées de l’Orient, qui
contenaient tant de millions d’habitants. Le courage des soldats est de toutes
les qualités de l’espèce humaine la plus commune et la moins chère ; et les
centurions qui avaient survécu à la défaite auraient bientôt formé des recrues
suffisamment habiles pour combattre des Barbares indisciplinés. Si les Goths
s’étaient emparés des chevaux et des armes de leurs ennemis vaincus, les haras
d’Espagne et de Cappadoce pouvaient remonter de nombreux escadrons ; les
trente-quatre arsenaux de l’empire étaient encore abondamment pourvus d’armes
offensives et défensives, et les richesses de l’Asie pouvaient fournir des
fonds suffisants pour les dépenses de la guerre : mais l’effet qu’avait produit
la bataille d’Adrianople sur l’esprit des Romains et sur celui des
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