Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
peser, d’une main impartiale, leur mérite et leurs
défauts, et, en même temps qu’il repoussait la confiance trop imprudente de
l’ambitieux, il se méfiait da la:prudence trop timide, toujours prêté à
désespérer du salut de la république. Cependant ce n’était pas le moment de la
délibération ; chaque instant de délai diminuait la puissance et les ressources
du futur empereur de l’Orient. Le choix de Gratien se déclara bientôt en faveur
d’un exilé, dont le père avait souffert, seulement trois ans auparavant, sous
la sanction de son autorité, une mort injuste et ignominieuse. Théodose le
Grand, nom célébré dans l’histoire et cher à l’Église [3104] catholique,
reçut ordre de se rendre à la cour impériale, qui s’était insensiblement
retirée des confins de la Thrace dans la ville plus sûre de Sirmium. Cinq mois
après la mort de Valens, Gratien présenta aux troupes assemblées son collègue
et leur maître, qui, après une résistance modeste, et peut-être sincère, fut
forcé d’accepter, au milieu des acclamation unanimes, la pourpre le diadème et
le titre d’Auguste, qui le rendait l’égal de Gratien [3105] . Il eut en
partage les provinces de Thrace, d’Asie et d’Egypte, gouvernées précédemment
par Valens ; mais comme il était spécialement chargé de la guerre des Goths, on
démembra la préfecture d’Illyrie, et les deux vastes diocèses de la Dacie et de
la Macédoine appartinrent à l’empire d’Orient [3106] .
La province, et peut-être la ville [3107] qui avait
fourni au trône les vertus de Trajan et les talents d’Adrien, fut aussi la
patrie d’une autre famille d’Espagnols, qui, dans des temps moins heureux,
posséda pendant près de quatre-vingts ans l’empire romain, déjà près de sa
décadence [3108] .
Le génie actif de Théodose, père de l’empereur, les fit sortir de l’obscurité
des honneurs municipaux. Les exploits de ce général en Afrique et dans la
Grande-Bretagne forment une des plus brillantes parties des annales de
Valentinien. Le fils du général, portant le même nom, avait reçu, pendant sa
jeunesse, une excellente éducation, sous la direction de maîtres habiles ; mais
ce fût par les tendres soins et la sévère discipline de son père, qu’il
instruisit dans l’art de la guerre [3109] .
Sous les étendards d’un semblable guide, le jeune Théodose chercha la gloire et
l’expérience dans toutes les provinces où la guerre lui en donna l’occasion. Il
endurcit sa constitution aux différentes saisons et aux différents climats,
rendit sa valeur célèbre dans les combats de terre et de mer, et examina
soigneusement les usages militaires des Écossais, des Maures et des Saxons. Son
mérite personnel et la recommandation du conquérant de l’Afrique lui obtinrent
bientôt un commandement supérieur ; et, nommé duc de Mœsie, il défit une armée
de Sarmates, sauva la province, mérita la confiance des soldats, et s’attira
l’envie de la cour [3110] .
La disgrâce et l’exécution de son illustre père détruisirent ses espérances, et
Théodose obtint, à titre de faveur, la permission de se retirer comme simple
particulier dans sa patrie. La facilité avec laquelle il se conforma en Espagne
à sa nouvelle situation, fit l’éloge de la modération et de la fermeté de son
caractère. Moitié de l’année à la ville, et le reste à la campagne, il
déployait, dans l’accomplissement de ses devoirs sociaux, ce caractère de zèle
et d’activité qui avait marqué sa carrière publique, et il faisait tourner la
vigilante exactitude d’un soldat au profit et à l’amélioration de son ample
patrimoine [3111] ,
situé entre Valladolid et Ségovie, au milieu d’un canton fertile, et encore
renommé aujourd’hui par la beauté de la laine de ses moutons [3112] . Des humbles et
innocents travaux de la campagne, Théodose fut transporté en moins de quatre
mois sur le trône de l’empire, d’Orient ; et l’histoire du monde entier
n’offrira peut-être pas un second exemple d’une élévation si pure et si
honorable. Les princes qui héritent paisiblement du sceptre de leur père
s’appuient sur un droit légal d’autant moins exposé à être contesté qu’il est
absolument indépendant de leur mérite personnel. Les sujets qui, soit dans une
monarchie, soit dans une république, parviennent au pouvoir suprême, peuvent
avoir acquis par leur mérite ou leur vertu, le rang qui les élève
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