Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Barbares
étendit à bien plus d’un jour les conséquences que devaient avoir des deux
côtés et la défaite et la victoire. On avait entendu un chef des Goths dire,
avec une insultante modération, que pour lui, il était las de carnage, mais
qu’il ne pouvait pas concevoir comment des hommes qui fuyaient devant lui comme
un troupeau de moutons, prétendaient encore disputer la possession de leurs
trésors et de leurs provinces [3115] .
Les Romains tremblaient au nom des Goths, comme les Goths avaient tremblé au
nom des Huns [3116] .
Si Théodose, rassemblant précipitamment ses forces dispersées, les eût
conduites contre un ennemi victorieux, les frayeurs de son armée auraient suffi
pour la dissiper ; et son imprudence n’aurait pas été justifiée par une seule
chance de succès : mais, dans une circonstance si dangereuse, Théodose le
Grand mérita cette honorable épithète, et se montra le gardien soigneux et
fidèle de ses États chancelants. Il prit ses quartiers à Thessalonique,
capitale du diocèse de la Macédoine [3117] ,
d’où il veillait sur les mouvements des Barbares, et dirigeait les opérations
de ses lieutenants depuis les murs de Constantinople jusqu’aux rives de la mer
Adriatique. Les fortifications et les garnisons des villes furent augmentées ;
on ranima insensiblement parmi les troupes l’esprit de la discipline ; et en
les accoutumant à se croire en sûreté, on leur rendit le sentiment de la
confiance. On les faisait sortir fréquemment de leurs forteresses pour attaquer
des partis de Barbares qui infestaient les environs. L’attention qu’on avait de
leur ménager toujours l’avantage du nombre ou du terrain, faisait le plus
souvent réussir leurs expéditions, et les soldats se convainquirent bientôt par
l’expérience de la possibilité de vaincre des ennemis qu’ils croyaient
invincibles. Les détachements des différentes garnisons se rassemblèrent peu à
peu, et formèrent de petits corps d’armée. Les mêmes précautions s’observèrent
dans un plan étendu d’opérations bien concédées. Les événements augmentèrent
chaque jour les forces et le courage des Romains, et l’adresse avec laquelle
l’empereur faisait répandre le bruit de ses succès militaires contribuait à
diminuer l’orgueil des Barbares, et à ranimer l’espoir de ses sujets. Si, au
lieu de cette esquisse faible et imparfaite, nous pouvions présenter au lecteur
le récit circonstancié des dispositions et des actions de Théodose dans le
cours de quatre campagnes, tous les militaires applaudiraient sans doute à ses
talents consommés. Le sage Fabius avait sauvé précédemment la république en
temporisant ; et tandis que les yeux de la postérité se fixent avec surprise
sur les lauriers brillants que Scipion cueillit dans la plaine de Zama, les
campements et les marches savantes du dictateur, à travers les montagnes de la
Campanie, réclament à plus juste titre la renommée d’une gloire solide et
indépendante, qu’il ne partagea ni avec la fortune ni avec ses soldats. Tel fut
aussi le mérite de Théodose ; et les infirmités d’une maladie longue et
dangereuse dont il fut alors attaqué ne purent ni diminuer la vigueur de son
génie, ni distraire son attention du service public [3118] .
La délivrance et la tranquillité des provinces romaines [3119] furent moins
l’ouvrage de la valeur que celui de la prudence de Théodose. La fortune la
seconda, et, l’empereur ne manqua jamais de saisir l’occasion favorable, et
d’en tirer tout l’avantage. Tant que le génie supérieur de Fritigern conserva
l’union parmi les Barbares et dirigea leurs opérations, leur puissance ne fut
point au-dessous de la conquête d’un grand empire. La mort de ce héros, le
prédécesseur et le maître du célèbre Alaric, délivra la multitude indocile du
joug intolérable de la prudence et de la discipline. Ces Barbares, longtemps
contenus par son autorité, se livrèrent alors à tous les excès de leurs
passions, et leurs passions étaient rarement constantes. Une armée de
conquérants se morcela et se divisa en bandes de voleurs féroces et sans ordre,
dont la fureur aveugle et capricieuse devint aussi funeste à eux-mêmes qu’elle
l’était à leurs ennemis. Naturellement portés à nuire, ils brisaient ou
détruisaient tout ce qu’ils ne pouvaient pas emporter ou dont ils ne savaient
pas jouir, et brûlaient souvent, dans leur rage imprévoyante, les moissons ou
provisions,
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