Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
férocité de leur caractère. Dans l’espace de douze ans,
leur nombre s’était considérablement augmenté, et les enfants de la dernière
émigration, placés au-delà de l’Hellespont, possédaient déjà l’a force et le
courage de la virilité [3102] .
Il était impossible de leur cacher les événements de la guerre des Goths et ces
jeunes audacieux, peu faits encore au langage de la dissimulation, laissaient
apercevoir leur désir, et peut-être leur dessein de partager la gloire de leurs
pères. L’inquiétude et les soupçons des habitants de la province étaient
justifiés par le danger de leur situation et ces soupçons furent admis comme
une preuve évidente que les Goths d’Asie avaient formé secrètement une
conspiration contre la sûreté publique. La mort de Valens laissait l’Orient
sans souverain ; et Julius, maître général des troupes, officier qui jouissait
d’une grande réputation de talent et d’activité, crut devoir consulter le sénat
de Constantinople qu’il regardait comme le représentant de la nation pendant la
vacance du trône. Dès qu’il eut obtenu la liberté de prendre, selon sa
prudence, les mesures qu’il croirait les plus avantageuses au bien public, il
assembla les principaux officiers, et concerta avec eux les moyens les plus
propres à faire réussir son sanglant projet. On publia immédiatement un édit
qui ordonnait à tous les jeunes Goths de s’assembler, à un jour fixé, dans les
différentes capitales des provinces qu’ils habitaient ; et, par un avis débité
adroitement, on leur persuada que l’intention étai de leur faire une
distribution de terres et d’argent. Cette insidieuse espérance calma la
violence de leur ressentiment, et suspendit peut-être les progrès de la
conspiration. Au jour marqué, et dans toutes les villes désignées, toute cette
jeunesse, désarmée, fut rassemblée soigneusement dans la place ou le Forum ;
les troupes romaines occupaient les rues et les avenues, et les toits des
maisons étalent couverts d’archers et de frondeurs. A la même heure, on donna,
dans toutes les villes de l’Orient, le signal du massacre général ; et la
prudence barbare de Julius délivra les provinces de l’Asie d’un ennemi
domestique, qui, quelques mois plus tard, aurait peut-être porté le fer et le
feu des rives de l’Hellespont aux bords de l’Euphrate [3103] . Le danger
pressant de la sûreté publique, peut sans doute autoriser, à violer les lois
établies ; mais j’espère ignorer toujours à quel point de semblables
considérations, ou toute autre du même genre, peuvent permettre d’oublier les
droits naturels de la justice et de l’humanité.
L’empereur Gratien était fort avancé dans sa marche vers les
plaines d’Adrianople, lorsqu’il apprit, d’abord par le bruit public, et ensuite
par le récit circonstancié de Victor et de Richomer, que son collègue impatient
avait perdu la bataille et la vie, et que les deux tiers de l’armée romaine
avaient péri par le glaive des Goths victorieux. Quoique l’imprudente et
jalouse vanité de son oncle méritât son ressentiment, l’âme généreuse de
Gratien fut émue de douleur et de compassion ; mais ces mêmes sentiments furent
bientôt obligés de faire place à- de sérieuses et effrayantes réflexions sur le
danger de la république. Gratien n’avait pu arriver à temps, pour sauver son
infortuné collègue, et il était trop faible pour le venger ce jeûne prince,
vaillant et modeste, ne se crut point en, état de soutenir seul un monde
chancelant. Une irruption de Barbares de la Germanie semblait prête à fondre
sur la Gaule, et l’empereur se trouvait, dans ces circonstances, accablé et
tourmenté des soins que lui demandait le seul empire d’Occident. Dans cette
crise funeste, le gouvernement de d’Orient et la conduite de la guerre des
Goths exigeaient l’attention exclusive d’un prince étalement habite dans les
sciences de la politique et de la guerre. Un sujet, revêtu à un commandement si
étendu, ne serait pas resté longtemps fidèle à son bienfaiteur éloigné, et le
conseil impérial adopta la noble résolution d’accorder un bienfait, plutôt que
de s’exposer à un affront. Gratien voulait faire de la pourpre la récompense de
la vertu ; mais à l’âge de dix-neuf ans, il n’est pas facile à un prince né sur
les marches du trône de connaître le véritable caractère de ses ministres et de
ses généraux. Il essayait de
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