Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
le masque
de la plus profonde dissimulation [3355] ,
et ses passions étaient toujours au service de celles de son maître, Cependant,
dans le massacre odieux de Thessalonique, le barbare Rufin enflamma la colère
de Théodose, et n’imita point son repentir. Cet homme qui regardait le reste
des humains avec une indifférence dédaigneuse, ne pardonnait jamais la plus
faible apparence d’une injure, et en devenant son ennemi on perdait à ses yeux
tous les droits que pouvaient avoir acquis des services rendus à l’État.
Promotus, maître général de l’infanterie, avait sauvé l’empire en repoussant
l’invasion des Ostrogoths, mais il souffrait avec indignation la prééminence
d’un rival dont il méprisait le caractère et la profession. Le fougueux soldat,
irrité de l’arrogance du favori, s’emporta jusqu’à le frapper au milieu du
conseil. On représenta cet acte de violence à l’empereur comme une insulte
personnelle, que sa dignité ne lui permettait pas délaisser impunie. Promotus
fut instruit de sa disgrâce et de son exil par l’ordre péremptoire qu’il reçut
de se retirer sans délai dans un poste militaire sur le Danube. La mort de ce
général, quoique tué dans une escarmouche contre les Barbares, a été imputée à
la perfidie de Rufin [3356] .
Le sacrifice d’un héros satisfit sa vengeance, et les honneurs du consulat
augmentèrent encore sa vanité ; mais sa puissance lui paraissait imparfaite et
précaire, tant que Tatien [3357] et son fils Proculus occupaient les préfectures importantes de l’Orient et de
Constantinople, et balançaient par leur autorité réunie les prétentions et la
faveur du maître des offices. Les deux préfets furent accusés de fraude et de
concussion dans l’administration des lois et des finances ; l’empereur pensa
que des coupables si importants devaient être jugés par une commission
particulière. On nomma plusieurs juges, afin de partager entre eux le crime et
le reproche de l’injustice ; mais le droit de prononcer la sentence, fut
réservé au président, et ce président était Rufin lui-même. Le père, dépouillé
de sa préfecture, fut jeté dans un cachot ; le fils prit la fuite, convaincu
que peu de ministres peuvent compter sur le triomphe de leur innocence, quand
ils ont pour juge un ennemi personnel ; mais plutôt que de se voir obligé à
borner sa vengeance à celle de ses deux victimes qui lui était la moins
odieuse, Rufin abaissa l’insolence de son despotisme jusqu’aux artifices les
plus vils. On conserva, dans la poursuite du procès une apparence de modération
et d’équité, qui donna à Tatien les espérances les plus favorables sur
l’événement. Le président augmenta sa confiance par des protestations
solennelles et des sermons perfides. Il alla même jusqu’à abuser du nom de
l’empereur, et le père infortuné se laissa enfin persuader de rappeler son fils
par une lettre particulière. A son arrivée, Proculus fait arrêté, examiné,
condamné et décapité dans un des faubourgs de Constantinople, avec une
précipitation qui trompa la clémence de l’empereur. Sans aucun respect pour la
douleur d’un sénateur consulaire, les barbares juges de Tatien l’obligèrent
d’assister au supplice de son fils : il avait lui-même au cou le cordon fatal ;
mais au moment où il attendait, où il souhaitait peut-être une prompte mort qui
eût terminé tous ses malheurs, on lui permit de traîner les restes de sa
vieillesse dans l’exil et dans la pauvreté [3358] .
La punition des deux préfets peut trouver une excuse peut-être dans les fautes
ou les torts de leur conduite ; l’esprit jaloux de l’ambition peut pallier la
haine de leur persécuteur ; mais Rufin poussa la vengeance à un excès aussi
contraire à la prudence qu’à l’équité, en dégradant la Lycie, leur patrie, du
rang de province romaine, en imprimant une tache d’ignominie sur un peuple
innocent, et en déclarant les compatriotes de Tatien et de Proculus incapables
à jamais d’occuper un emploi avantageux ou honorable dans le gouvernement de
l’empire [3359] .
Le nouveau préfet de l’Orient, car Rufin succéda immédiatement aux honneurs de
son rival abattu, ne fut jamais détourné par ses plus criminelles entreprises,
des pratiques de dévotion qui passaient alors pour indispensables au salut. Il
avait bâti dans un faubourg de Chalcédoine, surnommé le Chêne, une magnifique
maison de campagne, à laquelle il joignit
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