Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
divine à laquelle les éléments, la nature entière
et même les opérations invisibles de l’âme humaine, étaient forcés d’obéir [3345] . L’effet
salutaire ou pernicieux qui devait suivre immédiatement et presque au même
instant les prières ou les offenses, ne laissât aucun doute aux chrétiens sur
la haute faveur et le crédit dont les saints jouissaient auprès de l’Être
supérieur ; et il paraissait inutile d’examiner si ces puissants
protecteurs étaient forcés d’intercéder continuellement au pied du trône de
grâce, ou s’ils avaient la liberté d’exercer au gré de leur justice et de leur
bienfaisante le pouvoir subordonné dont ils avaient reçu la délégation.
L’imagination, qui ne s’était élevée qu’avec peine à la contemplation et au
culte d’une cause universelle, saisissait avec avidité des objets inférieurs de
son adoration, plus proportionnés à ses conceptions grossières et à
1’imperfection de ses facultés. La théologie simple et sublime des premiers
chrétiens se corrompit insensiblement, et la monarchie du ciel, déjà surchargée
de subtilités métaphysiques, fut totalement défigurée par l’introduction d’une
mythologie populaire qui tendait à rétablir le règne du polythéisme [3346] .
IV . Comme les objets de la dévotion se rapprochaient
insensiblement de la faiblesse de l’imagination, on introduisit des rites et
des cérémonies capables de frapper les sens du vulgaire. Si, au commencement du
cinquième siècle [3347] ,
Tertullien ou Lactance [3348] fussent sortis du sein des morts pour assister à la fête d’un saint ou d’un
martyr [3349] ,
ils auraient contemplé, avec autant de surprise que d’indignation, le spectacle
profane qui avait succédé au culte pur et spirituel d’une congrégation
chrétienne., Dès que les portes de l’église se seraient ouvertes, leur odorat
aurait été offensé par le parfum de l’encens et des fleurs et ils auraient sans
doute, regardé comme sacrilège la clarté inutile et ridicule que répandaient,
en plein midi, les lampes et les cierges. Ils n’auraient pu arriver à la
balustrade de l’autel qu’à travers une foule prosternée et composée, pour la plus
grande partie, d’étrangers et de pèlerins accourus à la ville la veille des
fêtes ; et déjà, dans l’ivresse du fanatisme et peut-être de l’intempérance,
imprimant dévotement des baisers sur les murs et sur le pavé de l’église, et
adressant leurs ferventes prières, quelles que fussent les paroles que
prononçait alors l’Église, aux os, au sang ou aux cendres du saint qu’un linge
ou un voile de soie dérobait ordinairement aux regards du vulgaire. Les
chrétiens visitaient les tombes des martyrs dans l’espérance d’obtenir, par
leur puissante intercession, toutes sortes de faveurs spirituelles, mais
principalement des avantages temporels. Ils priaient pour la conservation ou
pour le rétablissement de leur santé, pour la fécondité de leurs femmes, pour
la vie et le bonheur de leurs enfants. Lorsque les dévots entreprenaient un
voyage long ou dangereux ils suppliaient les saints martyrs d’être leurs guides
et leurs protecteurs dans la route ; et s’ils revenaient sans avoir essuyé
d’accident, ils se hâtaient encore d’aller aux tombes des martyrs, célébrer,
avec toutes les expressions de la reconnaissance, leurs obligations envers le
nom et les reliques de ces protecteurs célestes. Tous les murs étaient garnis
de symboles des faveurs qu’ils avaient revues. Des yeux, des mains et des pieds
d’or et d’argent, représentaient les services rendus aux fidèles ; et des
tableaux édifiants, qui ne pouvaient manquer de donner lieu bientôt aux abus
d’une dévotion indiscrète et idolâtre, offraient aux yeux l’image, les attributs
et les miracles du saint. Un même esprit de superstition devait suggérer, dans
les temps et les pays les plus éloignés, des moyens semblables de tromper la
crédulité et de frapper les sens de la multitude [3350] . On ne peut
disconvenir que les ministres de la religion catholique n’aient imité le modèle
profane qu’ils étaient impatients de détruire. Les plus respectables prélats
s’étaient persuadé que des paysans grossiers renonceraient plus facilement au
paganisme, s’ils trouvaient quelque ressemblance, quelque compensation dans les
cérémonies du christianisme. La religion de Constantin acheva en moins d’un
siècle la conquête de tout
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