Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
pieusement une superbe église,
consacrée aux apôtres saint Pierre et saint Paul, et sanctifiée par les prières
et la pénitence continuelle d’une communauté de moines. On convoqua un synode
nombreux et presque général des évêques de l’Orient, pour célébrer en même
temps la dédicace de l’église et le baptême du fondateur. La plus grande pompe
régna dans cette double cérémonie ; et lorsque les eaux saintes eurent purifié
Rufin de tous les péchés qu’il avait pu commettre jusqu’alors, un vénérable
ermite d’Égypte se présenta imprudemment pour la caution d’un ministre plein
d’orgueil et d’ambition [3360] .
Le caractère du vertueux Théodose imposait à son ministre la
nécessité de l’hypocrisie, qui détruisait souvent et retenait quelquefois
l’abus de la puissance. Rufin se gardait de troubler le sommeil d’un prince
indolent, mais encore capable d’exercer les talents et les vertus qui l’avaient
élevé à l’empire [3361] .
L’absence, et bientôt après la mort de ce grand prince, confirmèrent l’autorité
absolu de Rufin sur la personne et sur les États d’Arcadius, prince faible et
sans expérience, que l’orgueilleux préfet regardait plutôt comme son pupille
que comme son souverain. Indifférent pour l’opinion publique, il se livra dès
lors à ses passions sans remords et sans résistance ; son cœur avide et pervers
était inaccessible aux passions qui auraient pu contribuer à sa propre gloire
ou au bonheur des citoyens. L’avarice semble avoir été le besoin dominant de
cette âme corrompue [3362] : des taxes oppressives, une vénalité scandaleuse, des amendes immodérées, des
confiscations injustes, de faux testaments, au moyen desquels il dépouillait de
leur héritage les enfants de ses ennemis, ou même de ceux qui n’avaient point
mérité sa haine ; enfin tous les moyens, soit généraux, soit particuliers, que
petit inventer la rapacité d’un tyran, furent employés pour attirer dans ses
mains les richesses de l’Orient ; il vendait publiquement la justice et la
faveur dans le palais de Constantinople. L’ambitieux candidat marchandait avec
avidité, aux dépens de la meilleure partie de son patrimoine, les honneurs
lucratifs d’un gouvernement de province ; la vie et la fortune des malheureux
habitants étaient abandonnées au dernier enchérisseur. Pour apaiser les cris du
public, on sacrifiait de temps en temps quelque odieux coupable dont le
châtiment n’était profitable qu’au préfet, qui devenait son juge après avoir
été son complice. Si l’avarice n’était pas la plus aveugle des passions, les
motifs de Rufin pourraient exciter notre curiosité ; nous serions peut-être
tentés d’examiner dans quelles vues il sacrifiait tous les principes de
l’honneur et de l’humanité à l’acquisition d’immenses trésors, qu’il ne pouvait
ni dépenser sans extravagance, ni conserver sans danger. Peut-être se
flattait-il orgueilleusement de travailler pour sa fille unique ; de la marier
à son auguste pupille, et d’en faire l’impératrice de l’Orient. Il est possible
que, trompé par de faux calculs, il ne vît dans son avarice que instrument de
son ambition, et qu’il eût l’intention de placer sa fortune sur une base
solide, indépendante du caprice d’un jeune empereur. Cependant il négligeait
maladroitement de se concilier l’amour du peuple et des soldats, en leur
distribuant une partie des richesses qu’il amassait à force de crimes et de
travaux. L’extrême parcimonie de Rufin ne lui laissa que le reproché et l’envie
d’uni opulence mal acquise. Ceux qui dépendaient de lui le servaient, sans
attachement, et la terreur qu’inspirait sa puissance arrêtait seule les
entreprises de la haine universelle dont il était l’objet. Le sort de Lucien
apprit à tout l’Orient que si Rufin avait perdu une partie de son activité pour
les affaires, il était encore infatigable quand il s’agissait de poursuivre sa
vengeance. Lucien, fils du préfet Florentius, l’oppresseur de la Gaule et
l’ennemi de Julien, avait employé une partie de sa succession, fruit de la
rapine et de la corruption, à acheter l’amitié de Rufin et le poste important
de comte de l’Orient ; mais le nouveau magistrat, eut l’imprudence de renoncer
aux maximes de la cour et du temps, d’offenser son bienfaiteur par le contraste
frappant d’une administration équitable et modeste, et de se refuser à un
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