Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
prêtre d’Aquilée et un laboureur des environs de Vérone. Le savant
Rufin, ayant été sommé par ses ennemis de comparaître devant un synode romain [3441] , préféra
sagement les dangers d’une ville assiégée, dans l’espérance qu’il éviterait parmi
les Barbares la sentence exécutée sur un autre hérétique, qui, à la requête des
mêmes évêques, venait d’être cruellement fouetté et condamné à un exil
perpétuel dans une île déserte [3442] .
Quant au vieillard [3443] ,
qui avait coulé dès jours simples et innocents dans les environs de Vérone, il
n’avait pas la moindre notion des querelles des rois ni des évêques. Ses
désirs, son savoir et ses plaisirs, étaient renfermés dans le cercle étroit de
la petite ferme qu’il tenait de son père ; et, un bâton soutenait alors ses pas
chancelants sur le sol témoin des jeux de son enfance. Mais son humble et
rustique félicité, que Claudien décrit avec autant de naïveté que de sentiment,
n’était point à l’abri des calamités de la guerre. Ses arbres, ses vieux
contemporains [3444] ,
risquaient de se trouver enveloppés dans l’incendié général du canton. Un
détachement de cavalerie barbare pouvait anéantir d’un moment à l’autre sa
famille et sa chaumière ; et Alaric avait la puissance de détruire un bonheur
dont il ne savait pas jouir et qu’il ne pouvait pas procurer. La Renommée ,
dit le poète, déployant ses ailes avec terreur, annonça au loin la marche de
l’armée barbare et remplit l’Italie de consternation . Les frayeurs de
chaque individu augmentaient en proportion de sa fortune ; et les plus timides,
embarquant d’avance leurs effets, méditaient de se retirer en Sicile ou sur la
côte d’Afrique. Les craintes et les reproches de la superstition ajoutaient à
la détresse publique [3445] .
Chaque instant donnait naissance à des contes absurdes et horribles, à
d’étranges récits d’arméniens tenant du prodige les païens déploraient qu’ont
eût négligé les augures et supprimé les sacrifices ; mais les chrétiens
mettaient leur espoir dans la puissante intercession des saints et des martyrs [3446] .
L’empereur ne se distinguait pas moins de, ses sujets par
l’excès de sa frayeur que par la supériorité de son rang. Éleva dans l’orgueil
et le fa site de la royauté, il avait toujours été loin de soupçonner qu’on
mortel fût assez audacieux pour troubler le repos du successeur d’Auguste. Ses
flatteurs lui dissimulèrent le danger jusqu’au moment ou Alaric approcha du
palais de Milan ; mais lorsque le bruit de la guerre parvint aux oreilles du
jeune monarque, au lieu de courir aux armes avec le courage ou du moins
l’impétuosité de son âge, il montra le plus grand empressement à suivre l’avis
des courtisans timides qui lui proposaient de se retirer avec ses fidèles
serviteurs dans une des villes du fond de la Gaule. Stilichon [3447] eut seul le
courage et l’autorité de s’opposer à une démarche honteuse, qui aurait
abandonné Rome et l’Italie aux Barbares ; mais comme les troupes du palais
avaient été détachées récemment sur la frontière de Rhétie, comme la ressource
des nouvelles levées n’offrait qu’un secours tardif et précaire, le général de
l’Occident ne put faire d’autre promesse que celle de reparaître dans très peu
de temps si la cour de Milan consentait à tenir fermé durant son absence, avec
une armée suffisante pour repousser Alaric. Sans perdre un seul moment dans une
circonstance où ils étaient tous si intéressants pour la sûreté publique, le
brave Stilichon s’embarqua sur le lac Laurien, gravit au milieu de l’hiver, tel
qu’il se fait sentir dans les Alpes, les montagnes couvertes de neige et de
glace, et réprima, par son apparition inattendue, les ennemis qui troublaient
la tranquillité de la Rhétie [3448] .
Les Barbares, peut-être quelques tribus des Allemands, respectaient la fermeté
d’un chef qui leur parlait encore du .ton d’un- commandant, et regardèrent
comme une preuve d’estime et de confiance le choix qu’il fit d’un nombre de
guerriers parmi leur plus brave jeunesse. Les cohortes délivrées du voisinage
de l’ennemi joignirent sur-le-champ l’étendard impérial ; et Stilichon fit
passer des ordres dans tous les pays de l’Occident pour que les troupes les
plus éloignées accourussent à grandes journées défendre Honorius et l’Italie.
Les forts du Rhin furent abandonnés, et
Weitere Kostenlose Bücher