Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
traité fut ratifié par des serments solennels, et observé
réciproquement avec fidélité. Le prince des Goths entra dans la ville,
accompagné d’un petit nombre de troupes choisies. Il y prit le rafraîchissement
du bain, accepta un repas magnifique chez le magistrat, et affecta de montrer
qu’il n’était point étranger aux usages des nations civilisées [3421] ; mais tout le
territoire de l’Attique, depuis le promontoire de Sunium jusqu’à la ville de
Mégare, fut la proie des flammes et de la destruction ; et, si nous pouvons
nous servir de la comparaison d’un philosophe contemporain, Athènes elle-même
ressemblait à la peau vide et sanglante d’une victime offerte en sacrifice. La
distance de Mégare à Corinthe n’excédait guère trente milles ; mais la mauvaise
route , dénomination expressive qu’elle porté encore chez les Grecs, aurait
été facilement rendue impraticable pour une armée d’ennemis. Les bois épais et
obscurs du mont Cythéron couvraient l’intérieur du pays. Les rochers Scironiens
qui bordaient le rivage semblaient suspendus sur le sentier étroit et tortueux,
resserré dans une longueur de plus de six milles, le long des côtes de la mer [3422] . L’isthme de
Corinthe terminait le passage de ces rochers si détestés dans tous les siècles,
et un petit nombre de braves soldats auraient facilement défendu un
retranchement de cinq ou six milles, établi momentanément entre la mer d’Ionie
et la mer Égée. Les villes du Péloponnèse, se fiant à leur rempart naturel,
avaient négligé le soin de leurs murs antiques, et l’avarice des gouverneurs
romains trahit cette malheureuse province après l’avoir épuisée [3423] . Argos, Sparte,
Corinthe cédèrent sans résistance aux armes des Goths, et les plus heureux des
habitants furent ceux qui, premières victimes de leur fureur, évitèrent par la
mort le spectacle affreux de leurs maisons en cendres et de leurs familles dans
les fers [3424] .
Dans le partage des vases et des statues, les Barbares considérèrent plus la
valeur de la matière que le prix de la main d’œuvre. Les femmes captives
subirent les lois de la guerre, la possession de la beauté servit de récompense
a la valeur, et les Grecs ne pouvaient raisonnablement se plaindre d’un abus
justifié par l’exemple des temps héroïques [3425] .
Les descendants de ce peuple extraordinaire avait considéré la valeur et la
discipline comme les meilleures fortifications de Sparte, ne se rappelaient
plus la réponse courageuse d’un de leurs ancêtres à un guerrier plus redoutable
qu’Alaric : Si tu es un dieu, tu n’opprimeras point ceux qui ne t’ont pas
offensé ; si tu n’es qu’un homme, avance, et tu trouveras des hommes qui ne te
cèdent ni en force ni en courage [3426] .
Depuis les Thermopyles jusqu’à Sparte, le chef des Goths continua sa marche
victorieuse sans rencontrer un seul ennemi de nature mortelle ; mais un des
prosélytes du paganisme expirant assure avec confiance que la déesse Minerve,
armée de sa redoutable égide, et l’ombre menaçante d’Achille [3427] , défendirent
les murs d’Athènes, et élue l’apparition des divinités de la Grèce’ épouvanta
le hardi conquérant. Dans un siècle fécond en miracles, il serait peut-être
injuste de priver Zozime de cette ressource commune ; cependant on nie peut se
dissimuler que l’imagination d’Alaric était mal préparée à recevoir, soit
éveillé, soit en songe, les visions de la superstition grecque. L’ignorant
Barbare n’avait probablement jamais entendu parler ni des chants d’Homère, ni de
la renommée d’Achille ; et la foi chrétienne, qu’il professait dévotement, lui
enseignait à mépriser les divinités imaginaires de Rome et d’Athènes.
L’invasion des Goths, loin de venger l’honneur, du paganisme, contribua, au
moins accidentellement, à en anéantir les dernières traces, et les mystères de
Cérès, qui subsistaient depuis dix-huit cents ans, ne survécurent point à la
destruction d’Éleusis ni aux calamités de la Grèce [3428] .
Un peuple qui n’attendait plus rien de ses armes, de ses
dieux ni de son souverain, plaçait son unique et dernier espoir dans la
puissance et la valeur du général de l’Occident ; Stilichon, à qui l’on n’avait
pas permis de repousser les destructeurs de la Grèce, s’avança pour les châtier [3429] . Il équipa une
flotte nombreuse dans les ports de l’Italie, et ses troupes, après une
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