Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
quitter les armes qu’il ne les ait
repoussés dans les déserts de la Scythie, ou réduits dans l’état de servitude
où les Lacédémoniens tenaient précédemment les Ilotes [3434] . La cour
d’Arcadius souffrit le zèle, applaudit à l’éloquence et négligea l’avis de
Synèse. Peut-être le philosophe, en adressant à l’empereur d’Orient un discours
vertueux et sensé qui aurait pu convenir au roi de Sparte, n’avait-il pas
daigné songer à rendre son projet praticable dans les circonstances où se
trouvait un peuple dégénéré ; peut-être la vanité des ministres, à qui les
affaires laissent rarement le temps de la réflexion, rejeta-t-elle comme
ridicule et insensé tout ce qui excédait la mesure de leur, intelligence, ou
s’éloignait des formes et des préjugés établis. Tandis que les discours, de
Synèse et la destruction des Barbares faisaient le sujet général de la
conversation, un édit publié à Constantinople déclara la promotion, d’Alaric au
rang de maître général de l’Illyrie orientale. Les habitants des provinces
romaines, et les alliés qui avaient respecté la foi des traités virent avec une
juste indignation récompenser si libéralement le destructeur de la Grèce et de
l’Épire. Le Barbare victorieux fut reçu en qualité de magistrat légitime dans
les villes qu’il assiégeait si peu de temps auparavant. Les pères dont il avait
massacré les fils, les maris dont il avait violé les femmes, furent soumis à
son autorité, et le succès de sa révolte encouragea l’ambition de tous les
chefs des étrangers mercenaires. L’usage qu’Alaric fit de son nouveau
commandement annonce l’esprit ferme et judicieux de sa politique. Il envoya
immédiatement aux quatre magasins ou manufactures d’armes offensives et
défensives, Margus, Ratiaria, Naissus et Thessalonique, l’ordre de fournir à
ses troupes une provision extraordinaire de boucliers, de casques, de lances et
d’épées. Les infortunés habitants de la province furent contraints de forger
les instruments de leur propre destruction, et les Barbares virent disparaître
l’obstacle qui avait quelquefois rendu inutiles les efforts de leur courage [3435] . La naissance
d’Alaric, la renommée de ses premiers exploits et les espérances que l’on
pouvait, fonder sur son ambition, réunirent insensiblement sous ses étendards
victorieux tout le corps de la nation des Goths. Du consentement unanime de
tous les chefs barbares, le maître général de l’Illyrie fut élevé sur un bouclier,
selon l’ancienne coutume et proclamé solennellement roi des Visigoths [3436] . Armé de cette
double autorité, et posté sur les limites des deux empires, il faisait
alternativement payer ses trompeuses promesses aux cours des deux souverains [3437] ; mais enfin,
il déclara et exécuta l’audacieuse résolution d’envahir l’empire d’Occident.
Les provinces d’Europe, qui appartenaient à l’empire d’Orient, étaient épuisées
; celles de l’Asie étaient inaccessibles, et Constantinople avait bravé tous
ses efforts. La gloire, la beauté, la richesse de l’Italie ; qu’il avait
visitée deux fois, lui firent ambitionner cette conquête ; il se sentit flatté
en secret de l’idée d’arborer l’étendard des Goths sur les mûrs de Rome et
d’enrichir son armée des dépouilles que trois cents triomphes y avaient
rassemblées [3438] .
Le petit nombre des faits [3439] constatés et
l’incertitude des dates [3440] ne nous permettent point de donner des détails de la première invasion d’Alaric
en Italie. La marche qu’il eut à faire, probablement depuis Thessalonique
jusqu’au pied des Alpes Juliennes, dans les provinces ennemies et belliqueuses
de la Pannonie, son passage à travers ces montagnes fortifiées par des troupes
et des retranchements, le siége d’Aquilée et la conquête de, l’Istrie et de la
Vénétie, semblent lui avoir coûté beaucoup de temps. A moins que ses opérations
n’aient été conduites avec beaucoup de lenteur et de circonspection, la
longueur de l’intervalle donnerait à penser qu’avant de pénétrer dans le cœur
de l’Italie, le roi des Goths se retira vers les bords du Danube et recruta son
armée d’un nouvel essaim de Barbares. Puisque les principaux événements publics
échappent aux rechercher de l’historien, on lui permettra de contempler, un
moment l’influence des armés d’Alaric sur la fortune de deux particuliers
obscurs, un
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