Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
les exposait continuellement a des
surprises ; mais, au lieu de choisir le moment où ils se livraient aux excès de
l’intempérance, Stilichon résolut d’attaquer les dévots Barbares tandis qu’ils
célébraient pieusement la fête de Pâques [3456] .
L’exécution de ce stratagème, que le clergé traita de sacrilège, fut confiée à
Saul, Barbare et païen, qui avait cependant servi avec distinction parmi les
généraux vétérans de Théodose. La charge impétueuse de la cavalerie impériale
jeta le désordre et la confusion dans le camp des Goths, qu’Alaric avait assis
dans les environs de Pollentia [3457] ; mais le génie de leur intrépide général rendit en un instant à ses soldats un
ordre et un champ de bataille ; et après le premier instant de la surprise, les
Barbares, persuadés que le Dieu des chrétiens combattrait pour eux se sentirent
animés d’une force qui ajoutait à leur valeur ordinaire. Dans ce combat,
longtemps soutenu avec un courage et un succès égal, le chef des Alains, dont
la petite taille et l’air sauvage recélaient une âme magnanime, prouva
l’injustice des soupçons formés, contre sa fidélité par le courage avec lequel
il combattit et mourut pour les Romains. Claudien a conservé imparfaitement
dans ses vers la mémoire de ce vaillant Barbare, dont il célèbre la gloire sans
nous apprendre son nom. En le voyant tomber, les escadrons qu’il commandait
perdirent courage et prirent la fuite, et la défaite de l’aile de cavalerie
aurait pu décider la victoire en faveur d’Alaric, si Stilichon ne fût pas
promptement arrivé à la tête de toute l’infanterie romaine et barbare. Le génie
du général et la valeur des soldats surmontèrent tous les obstacles ; et sur le
soir de cette sanglante journée, les Goths se retirèrent du champ de bataille :
leurs retranchements furent forcés ; le pillage du camp et le massacre des
Barbares payèrent quelques-uns des maux dont ils avaient accablé les sujets de
l’empire [3458] .
Les vétérans de l’Occident s’enrichirent des dépouilles magnifiques de Corinthe
et d’Argos ; et l’épouse d’Alaric, qui attendait impatiemment les bijoux
précieux et les esclaves patriciennes que lui avait promis son mari [3459] , réduite en
captivité, se vit foncée d’implorer la clémence d’un insolent vainqueur. Des
milliers de prisonniers, échappés des chaînes des Barbares, allèrent porter
dans toutes les villes de l’Italie les louanges de leur libérateur. Le poète
Claudien, qui n’était peut-être que l’écho du public, compara le triomphe de
Stilichon [3460] à celui de Marius qui, dans le même canton de l’Italie, avait attaqué et
détruit une armée des Barbares du Nord. La postérité pouvait aisément confondre
les ossements gigantesques et les casques vides des Goths avec ceux des
Cimbres, et élever sur la même place un trophée commun aux deux illustres
vainqueurs des deux plus formidables ennemis de Rome [3461] .
Claudien [3462] a prodigué son éloquente admiration à la victoire de Pollentia, qui célèbre
comme le jour le plus glorieux de la vie de son patron ; mais sa muse partiale
accorde à regret des éloges moins commandés au caractère d’Alaric. Quoiqu’il
charge son nom des injurieuses épithètes de pirate et de brigand, auxquelles
purent si bien prétendre les conquérants de tous les siècles, le chantre de
Stilichon est forcé d’avouer qu’Alaric possédait cette invincible force d’âme
qui, toujours supérieure à la fortune, tire de nouvelles ressources du sein de
l’adversité. Après la défaite totale de son infanterie, il l’échappa, ou plutôt
se retira du champ de bataille avec la plus grande partie de sa cavalerie
encore en bon ordre et peu endommagée. Sans perdre le temps à déplorer la perte
irréparable de tant de braves compagnons, il laissa aux ennemis victorieux la
liberté d’enchaîner les images captivés d’un roi des Goths [3463] , et résolus de
traverser les passages abandonnés des Apennins, de ravager la fertile Toscane,
et de vaincre ou de mourir aux portes de Rome. L’infatigable activité de
Stilichon sauva la capitale ; mais il respecta le désespoir de son ennemi ; et,
au lieu d’exposer le salut de l’État au hasard d’une seconde bataille, il proposa
de payer la retraite des Barbares. Le généreux et intrépide Alaric aurait
rejeté avec mépris et indignation, la permission de se retirer et l’offre d’une
pension ; mais
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