Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
la Gaule n’eut pour garant de sa sûreté
que la bonne foi des Germains et la terreur du nom romain : on rappela même la
légion stationnée dans la Grande-Bretagne pour défendre le mur qui la séparait
des Calédoniens du nord [3449] ; et un corps nombreux de la cavalerie des Alains consentit à s’engager au
service de l’empereur, qui attendait avec anxiété le retour de son général. La
prudence et l’énergie de Stilichon brillèrent dans cette occasion, qui fit
paraître en même temps la faiblesse de l’empire mors sur le penchant de sa
ruine. Les légions romaines, dégénérées peu a peu de la discipline et de la
valeur de leurs ancêtres, avaient été exterminées dans les terres civiles et
dans celles des Goths ; et il parut impossible de rassembler une armée pour la
défense de l’Italie sans épuiser et exposer les provinces.
En abandonnant son souverain sans défense dans son palais de
Milan, Stilichon, avait sans doute calculé le terme de son absence, la distance
où se trouvait encore l’ennemi, et les obstacles qui devaient retarder sa
marche. Il comptait principalement sur la difficulté du passage des rivières
d’Italie, l’Adige, le Mincio, l’Oglio et l’Adda, qui enflent prodigieusement en
hiver par la fonte des neiges et par les pluies dans le printemps [3450] , et deviennent
des torrents impétueux ; mais le hasard voulut que la saison fût très sèche, et
les Goths traversèrent sans obstacle des lits vastes et pierreux au milieu
desquels se faisait remarquer à peine un faible filet d’eau. Un fort
détachement de leur armée s’empara du pont et assura le passage de l’Adda ; et
lorsque Alaric approcha des murs ou plutôt des faubourgs de Milan, il put jouir
de l’orgueilleuse satisfaction de voir fuir devant lui l’empereur des Romains.
Honorius, accompagné d’une faible suite de ses ministres et de ses eunuques,
traversa rapidement les Alpes avec le dessein de se réfugier dans la ville
d’Arles, dont ses prédécesseurs avaient souvent fait leur résidence ; mais il
avait à peine passé le Pô [3451] ,
qu’il fut atteint par la cavalerie des Barbares [3452] . Un danger si
pressant l’obligea de chercher une retraite dans les fortifications d’Asti,
ville de la Ligurie ou du Piémont, située sur les bords du Tanaro [3453] . Le roi des
Goths forma immédiatement et pressa sans relâche le siège d’une petite place
qui contenait une si riche capture, et qui ne semblait pas capable de faire une
lorsque résistance. Lorsque l’empereur assura depuis qu’il n’avait jamais
éprouvé l’impression de la peur, cette fanfaronnade n’obtint probablement pas
la confiance même de ses courtisans [3454] .
Réduit à la dernière extrémité, presque sans espérance et ayant déjà reçu des
offres insultantes de capitulation Honorius fut délivré de ses craintes et de
sa captivité par l’approche et bientôt par la présence du héros si longtemps
attendu. A la tête d’une avant-garde choisie, Stilichon passa l’Adda à la nage,
pour économiser le temps qu’il aurait perdu à l’attaque du pont. Le passage du
Pô présentait moins de difficultés et de danger ; et l’heureuse audace avec
laquelle il se fit route à travers le camp des ennemis pour s’introduire, dans
Asti, ranima l’espoir et rétablit l’honneur des Romains. Au moment de saisir le
fruit de ses victoires, le général des Barbares se vit peut à peu investi de
tous côtés par les troupes de l’Occident, qui débouchaient successivement par
tous les passages des Alpes. Ses quartiers furent resserrés et ses convois
enlevés, et les Romains commencèrent avec activité à former une ligne de
fortifications dans lesquelles l’assiégeant se trouvait lui-même assiégé. On
assembla un conseil militaire composé des chefs à la longue chevelure des vieux
guerriers enveloppés de fourrures, et dont l’aspect était rendu plus imposant
par d’honorables cicatrices ; après avoir pesé la gloire de persister dans leur
entreprise et l’avantage de mettre leurs dépouilles en sûreté tous opinèrent
prudemment à se retirer tandis qu’il en était encore temps. Dans cet important
débat, Alaric déploya le courage et le génie du conquérant de Rome. Après avoir
appelé à ses compagnons leurs exploits et leurs desseins, il termina son
discours énergique par une protestation solennelle et positive de trouver en
Italie un trône ou un tombeau [3455] .
L’indiscipline des Goths
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