Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
heureuse
navigation sur la mer d’Ionie, débarquèrent sur l’isthme auprès des ruines, de
Corinthe. Les bois et les montagnes de l’Arcadie devinrent le théâtre d’un
grand nombre de combats douteux entre deux généraux dignes l’un de l’autre. La
persévérance et le génie du. Romain finirent par l’emporter ; les Goths, fort
diminués parles maladies et par la’ désertion, se retirèrent lentement sur la
haute montagne de Pholoé, près des sources du Pénée et des frontières de
l’Élide, pays sacré et jadis exempt des calamités de la guerre [3430] . Stilichon
assiégea le camp des Barbares, détourna le cours de la rivière [3431] . Tandis qu’ils
souffraient les maux insupportables de la soif et de la faim, le général
romain, pour prévenir leur fuite, fit entourer leur camp d’une forte ligne de
circonvallation ; mais, comptant trop sur la victoire, après avoir pris ses
précautions, il alla se délasser de ses fatigues en assistant aux jeux des
théâtres grecs et à leurs danses lascives : ses soldats quittèrent leurs
drapeaux, se répandirent dans le pays de leurs alliés, et les dépouillèrent de
ce qui avait échappé à l’avidité des Barbares. Il paraît qu’Alaric saisit ce
moment, favorable pour exécuter une de ces entreprises hardies, où le véritable
génie d’un général se déploie avec plus d’avantage que dans le tumulte d’un
jour de bataille. Pour se tirer de sa prison du Péloponnèse, il fallait passer
à travers les retranchements dont son camp était environné, exécuter une marche
difficile et dangereuse de trente milles jusqu’au golfe de Corinthe ; et
transporter ses troupes, ses captifs et son butin, de l’autre côté d’un bras de
mer, qui, dans l’endroit le plus étroit, entre Rhium et la côte opposée, est
large d’environ un demi-mille [3432] .
Ces opérations furent sans doute secrètes, prudentes et rapides, puisque le
général romain apprit avec la plus grande surprise que les Goths, après avoir
éludé tous ses efforts, étaient en pleine et paisible possession de
l’importante province d’Épire. Ce malheureux délai donna le temps à Alaric de
conclure le traité qu’il négociait secrètement avec les ministres de
Constantinople. La lettre hautaine de ses rivaux, et la crainte d’une guerre
civile, forcèrent Stilichon à se retirer des États d’Arcadius, et à respecter,
dans l’ennemi de la république, le caractère honorable d’allié et de serviteur
de l’empereur d’Orient.
Un philosophe grec, Synèse [3433] qui visita
Constantinople peu de temps après la mort de Théodose, a publiquement énoncé
des opinions libérales sur les devoirs des souverains et sur l’état de la
république romaine. Il observe et déploré l’abus funeste que l’imprudente bonté
du dernier empereur avait introduit dans le service militaire. Les citoyens et
les sujets achetaient, pour une somme d’argent fixe, l’exemption du devoir
indispensable de défendre la patrie, dont la sûreté se trouvait confiée à des
Barbares mercenaires. Des fugitifs de la Scythie possédaient et déshonoraient
une partie des plus illustres dignités de l’empire. Leur jeunesse féroce
dédaignait le joug salutaire des lois, s’occupait plutôt des moyens d’envahir
les richesses que d’acquérir les arts d’un peuple qu’elle haïssait et méprisait
également ; et la puissance des Goths semblable à la pierre de Phlégyas
perpétuellement suspendue, menaçait toujours l’a paix et la sûreté de l’État
qu’elle devait écraser un jouir. Les moyens recommandés par Synèse annoncent
les sentiments d’un patriote hardi et zélé. Il exhorte l’empereur a ranimer la
valeur de ses sujets par l’exemple de ses vertus et de sa fermeté, à bannir le
luxe de la cour et des camps, à substituer à la place des Barbares mercenaires
une armée d’hommes intéressés à défendre leurs lois et leurs propriétés ; il
lui conseille d’arracher, dans ce moment de crise générale, l’ouvrier de sa
boutique, et le philosophe de son école, de réveiller le citoyen indolent du
songe de ses plaisirs, et d’armer, pour protéger l’agriculture, les mains
rustiques des robustes laboureurs. Il excite le fils de Théodose à se mettre à.
la tête d’une telle armée, qui mériterait le nom de romaine et en déploierait
le courage ; à attaquer la race des Barbares qui n’ont d’autre valeur qu’une
impétuosité peu durable et à ne point
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