Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
inscriptions
lui donnaient le surnom de troisième fondateur de Constantinople. Il obtint le
rang de patrice , qualification qui, dans son acception populaire, même
légale, commençait à équivaloir au titre de père de l’empereur ; et la dernière
année du quatrième siècle fut déshonorée par le consulat d’un eunuque et d’un
esclave [3732] .
Ce monstrueux prodige réveilla cependant les préjugés des Romains. L’Occident
rejeta ce vil consul comme une tache indélébile dans les annales de la
république ; et, sans invoquer les ombres de Brutus et de Camille, le collègue
d’Eutrope, magistrat respectable [3733] et instruit, fit assez connaître la différence des maximes qui dirigeaient les
deux administrations.
Audacieux et inflexible, Rufin avait montré plus de
disposition à la vengeance et à la cruauté ; mais l’avarice de l’eunuque
n’était pas moins insatiable que celle du préfet [3734] . Tant qu’il se
contenta d’arracher les dépouilles du peuple à ses oppresseurs, il satisfit son
avidité sans qu’on eût beaucoup à se plaindre de son injustice ; mais ses
rapines s’étendirent bientôt sur les fortunes acquises par le plus légitime
droit de succession ou l’industrie la plus louable. Il employa et perfectionna
tous les moyens de concussion déjà connus avant lui ; et Claudien nous a laissé
un tableau original et frappant de la vente publique de l’État mis à l’enchère. L’impuissance de l’eunuque , dit cet agréable poète satirique, ne sert
qu’à enflammer son avarice. La main qui s’est essayé par de petits vols dans le
coffre de son maître, se saisit aujourd’hui des richesses de l’univers, et cet
infâme brocanteur de l’empire met à prix, morcelle et vend toutes les provinces
romaines depuis le Tigre jusqu’au mont Hémus. L’un obtient le proconsulat de
l’Asie en échange de sa maison de campagne ; l’autre achète la Syrie avec les
diamants de sa femme ; un troisième se plaint d’avoir échangé son patrimoine contre
le gouvernement de la Bithynie. On trouve sur une grande liste, publiquement
exposée dans l’antichambre d’Eutrope, le prix fixé pour toutes les provinces ;
les différentes valeurs du Pont, de la Galatie et de la Lydie, y sont
soigneusement énoncées. Le prix de la Lycie n’est que de quelques milliers de
pièces d’or ; mais l’opulente Phrygie exige une somme beaucoup plus
considérable. L’eunuque cherche à cacher sa propre turpitude dans l’ignominie
générale ; et comme il a été vendu lui-même, il voudrait vendre à son tour,
tout le genre humain. La concurrence des acheteurs tient quelquefois longtemps
suspendues les balances qui contiennent le sort d’une province et la fortune de
ses habitants, et le juge impartial attend, dans une inquiète incertitude, qu’on
ajoute, d’un côté ou de l’autre assez d’or pour les faire pencher [3735] . Tels sont ,
ajoute le poète avec indignation ; tels sont les fruits de la valeur des
Romains, de la défaite d’Antiochus et des triomphes de Pompée . Cette
prostitution vénale des honneurs publics assurait seulement l’impunité des
crimes futurs ; mais les richesses qu’Eutrope tirait des confiscations étaient
déjà souillées par l’injustice. On accusait sans honte et l’on condamnait sans
remords tous les riches propriétaires dont il était impatient de saisir les
dépouilles. Le sang de quelques nobles citoyens coula sous la main des
bourreaux ; et les contrées les plus sauvages des extrémités de l’empire se
peuplèrent d’illustres exilés. Parmi les consuls et les généraux de l’Orient,
Abundantius [3736] devait s’attendre à essuyer le premier les effets du ressentiment
d’Eutrope : il avait à se reprocher le crime impardonnable d’avoir
introduit ce vil esclave dans le palais de Constantinople ; et l’on peut louer
en quelque sorte un favori ingrat et puissant, qui se contente de la disgrâce
de son bienfaiteur Abundantius fut dépouillé de sa fortune par un mandat de
l’empereur, et banni à Pityus, dernière frontière des Romains sur la mer Noire,
où il vécut abandonné à l’inconstante pitié des Barbares jusqu’à la chute de
son persécuteur, après laquelle cet infortuné obtint un exil moins rigoureux à
Sidon, en Phénicie. Il fallut pour se défaire de Timase procéder avec plus de
circonspection et de régularité [3737] .
Maître général des armées sous le règne de Théodose, il avait signalé sa
Weitere Kostenlose Bücher