Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
d’avoir insulté au
malheur d’Eutrope, chercha à exciter le mépris du peuple pour tempérer sa fureur [3753] . L’humanité, la
superstition, et l’éloquence l’emportèrent : l’impératrice, retenue par ses
propres préjugés ou par ceux de ses sujets, n’entreprit point de violer le
sanctuaire de l’église, et Eutrope se laissa persuadée d’en sortir après qu’on
lui eut promis par serment de lui laisser la vie [3754] . Sans égard
pour la dignité de leur souverain les nouveaux ministres du palais déclarèrent,
par un édit, que l’ancien favori avait déshonoré les noms de consul et de
patrice ; ils abolirent ses statues, confisquèrent toutes ses richesses, et le
condamnèrent à un exil perpétuel dans l’île de Chypre [3755] . Un eunuque
méprisable et décrépit ne pouvait plus inspirer la crainte à ses ennemis ; et
il n’était plus même susceptible de goûter les biens qui lui restaient encore,
la tranquillité, la solitude et la beauté du climat. Leur haine implacable lui
envia pourtant ces derniers restes de sa misérable vie : à peine Eutrope
était-il arrivé dans l’île de Chypre, qu’ils le rappelèrent précipitamment.
Dans la vaine idée d’éluder, par le changement de lieu, l’obligation du
serment, l’impératrice fit transporter de Constantinople au faubourg adjacent
de Chalcédoine le théâtre du jugement et de l’exécution. Le consul Aurélien
prononça la sentence, et les griefs sur lesquels il la motiva font connaître la
jurisprudence d’un gouvernement despotique. Les attentats d’Eutrope contre les
citoyens suffisaient pour justifier sa mort ; mais on prouva de plus qu’il
était coupable d’avoir attelé à son propre char les animaux sacrés dont la race
et la couleur étaient exclusivement réservées au service du souverain [3756] .
Tandis que cette révolution se consommait dans l’intérieur
du palais, Gainas se révolta ouvertement, réunit ses forces avec celles de
Tribigild à Thyatire en Lydie, et conserva toujours sur le chef rebelle des
Ostrogoths l’ascendant de la supériorité [3757] .
Les armées confédérées s’avancèrent sans obstacle jusqu’au détroit de
l’Hellespont et du Bosphore ; et l’on fit consentir Arcadius, pour éviter la
perte de ses provinces d’Asie, à remettre sa personne et son autorité entre les
mains des Barbares. On choisit pour le lieu de l’entrevue l’église de Sainte
Euphémie, située sur une haute éminence près de Chalcédoine [3758] . Gainas,
respectueusement prosterné aux pieds de l’empereur, exigea le sacrifice
d’Aurélien et de Saturnin, deux ministres consulaires, qui virent l’épée de cet
orgueilleux Barbare suspendue sur leur tête et prête les frapper, jusqu’au
moment où il daigna leur accorder un sursis honteux et précaire. Conformément
aux articles de la convention, les Goths passèrent sur-le-champ d’Asie en
Europe ; leur chef victorieux, qui avait accepté le titre de maître général des
armées romaines, remplit Constantinople de ses troupes et distribua parmi ses
créatures les honneurs et les richesses de l’empire. Dans sa jeunesse, Gainas
avait passé le Danube en fugitif et s’était présenté en suppliant. Il devait
son élévation à sa valeur, secondée de la fortune ; l’imprudence ou la perfidie
de sa conduite précipita rapidement sa destruction. Malgré la vigoureuse
opposition de l’archevêque, il réclama obstinément la possession d’une église
particulière pour ses Barbares ariens ; et l’orgueil des catholiques s’offensa
de voir tolérer publiquement l’hérésie [3759] .
Les murmures, le tumulte et le désordre, éclataient dans tous les quartiers de
Constantinople ; les Barbares contemplaient avec des yeux avides les boutiques
des joailliers et l’or qui couvrait les comptoirs des banquiers. On jugea qu’il
était prudent de les éloigner de ces objets de tentation. Irrités de cette
précaution injurieuse, les Goths essayèrent de mettre le feu au palais pendant
la nuit [3760] .
Dans ces dispositions mutuelles de soupçon et d’animosité, les gardes et le
peuple de Constantinople fermèrent les portes et prirent les armes pour prévenir
la conspiration des Goths oui pour s’en venger. Dans l’absence de Gainas, ses
troupes furent surprises et vaincues, et sept mille Barbares perdirent la vie
dans ce massacre. Dans la fureur de la poursuite, les catholiques découvrirent
les toits de l’église arienne où
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