Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
cette foule de moines dégénérés qui, attirés par
d’indignes motifs de plaisir ou de profit, remplissaient sans cesse les rites
de Constantinople. A la voix de la persuasion le prélat fut obligé de joindre
telle de son autorité ; et son ardeur dans l’exercice de la juridiction
ecclésiastique n’était pas toujours exempte de passion, ou guidée par la
prudence. Saint Chrysostome naturellement d’un caractère emporté [3768] , tâchait de se
soumettre aux préceptes de l’Évangile, en aimant ses ennemis personnels ; mais
il se livrait sans résistance à la haine des ennemis de Dieu et de l’Église, et
s’exprimait quelquefois avec trop de violence dans la parole et dans le
maintien. Par des motifs de santé ou peut-être d’abstinence, l’archevêque
conservait son ancienne coutume de prendre son repas en particulier, et cette
habitude [3769] ,
que ses ennemis attribuaient à l’orgueil, contribuait au moins à nourrir son
humeur morose et insociable. Renonçant en quelque façon à ces communications
qui éclaircissent et facilitent les affaires, il mettait toute sa confiance
dans le diacre Sérapion, et se servait rarement de ses connaissances
spéculatives de la nature humaine pour approfondir le caractère de ses égaux ou
de ses subordonnés. Se fiant à la pureté de ses intentions ou, peut-être à la
supériorité de son génie, l’archevêque de Constantinople étendit la juridiction
de la ville impériale pour étendre celle de ses soins épiscopaux. Cette
conduite, que les profanes imputaient à l’ambition, paraissait à saint
Chrysostome un devoir sacré et indispensable. En visitant les provinces d’Asie,
il déposa treize évêques de Lydie et de Phrygie, et déclara indiscrètement que
l’esprit de débauche et de simonie infectait tout l’ordre épiscopal [3770] . La
condamnation rigoureuse de ces évêques, en cas qu’ils fussent innocents, dut
exciter leur juste indignation ; et en supposant au contraire qu’ils fussent
coupables, la plupart de leurs confrères, qui craignaient d’éprouver le même
sort, sentirent bientôt que leur sûreté ne pouvait s’établir que sur la ruine
de l’archevêque, qu’ils tâchaient de représenter comme le tyran de l’Église
orientale.
Théophile [3771] ,
archevêque d’Alexandrie, prélat actif et ambitieux qui dissipait en monuments
fastueux des biens acquis par la rapine, conduisit la conspiration
ecclésiastique. Sa vanité nationale lui inspirait de l’aversion pour une ville
dont la grandeur naissante le faisait descendre du second ou troisième rang
dans le monde chrétien ; et quelques querelles personnelles avaient achevé
de l’irriter contre saint Chrysostome [3772] .
D’après l’invitation secrète de l’impératrice, Théophile débarqua dans le port
de Constantinople, accompagné d’une nombreuse troupe de mariniers pour dissiper
la populace, et d’une longue suite d’évêques, ses suffragants, pour s’assurer
la majorité des voix dans le synode [3773] .
On assembla ce synode dans le faubourg de Chalcédoine, surnommé le Chêne ; où Rufin avait construit une vaste église et un monastère. Les séances
continuèrent durant quatorze jours. Un évêque et un diacre se portèrent pour
accusateurs de l’archevêque de Constantinople mais les quarante-sept articles
des griefs frivoles ou improbables qu’ils présentèrent contre ce prélat,
peuvent être considérés comme un panégyrique de l’espèce la plus irrécusable.
Saint Chrysostome fût cité quatre fois à comparaître ; mais il refusa toujours
de confier sa personne et sa réputation à la haine implacable de ses ennemis
qui abandonnèrent prudemment l’examen des accusations, le condamnèrent comme
rebelle et contumace ; et prononcèrent précipitamment contre lui une sentence
de déposition. Le synode du Chêne fit demander immédiatement à
l’empereur la ratification et l’exécution de la sentence, et insinua
charitablement qu’on pouvait punir comme coupable de lèse-majesté l’audacieux
prédicateur qui avait insulté l’impératrice Eudoxie sous le nom odieux de
Jézabel. Un officier du palais s’empara de saint Chrysostome, le traîna
ignominieusement dans les rues de la capitale, et le descendit, après une
courte navigation, à l’entrée de l’Euxin, d’où, en moins de deux jours, on le
rappela glorieusement.
Dans le premier instant de sa surprise, son fidèle troupeau
était demeuré muet et immobile ; mais
Weitere Kostenlose Bücher