Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
la vérité, quoiqu’il ne soit pas de l’avis de Zozime, et
qu’il blâme l’empereur romain d’avoir confié si imprudemment, quoique avec
succès, son fils et son empire à la foi inconnue d’un étranger, d’un rival et
d’un païen. A cent cinquante ans de distance, on pouvait débattre cette
question politique à la cour de Justinien ; mais un historien sage ne
s’arrêtera point à discuter le plus ou le moins de prudence du testament
d’Arcadius avant de s’être convaincu de son authenticité. Comme l’histoire du
monde entier n’offre rien de semblable ; on peut raisonnablement exiger
qu’un fait si extraordinaire soit attesté par les contemporains. L’événement
qui excite nos doutes aurait dû, par sa nouveauté, attirer leur attention ; et
leur silence universel anéantit cette vaine tradition, recueillie dans l’âge
suivant.
Si l’on eût pu appliquer au gouvernement les maximes que
professait la jurisprudence romaine à l’égard des affaires particulières, elles
auraient donné à Honorius la régence et la tutelle de son neveu, au moins
jusqu’à ce qu’il eût atteint sa quatorzième année. Mais la faiblesse d’Honorius,
et les calamités de son règne l’empêchèrent de réclamer ses droits ; et les
deux empires étaient si divisés d’intérêt et d’affection, que les habitants de
Constantinople auraient obéi avec moins de répugnance aux ordres du monarque
persan qu’au gouvernement de la cour de Ravenne. Sous un prince qui, parvenu à
l’âge de raison, couvre sa faiblesse de l’extérieur d’un homme ; les plus
méprisables favoris peuvent disputer secrètement l’empire du palais, et dicter
aux provinces obéissantes, les ordres d’un maître qu’ils dirigent et qu’ils
méprisent ; mais les ministres d’un enfant incapable de les autoriser par sa
sanction, acquièrent et exercent nécessairement une autorité indépendante. L es
grands officiers de l’état et de l’armée qui avaient été mis en place avant la
mort d’Arcadius, formaient une aristocratie qui aurait pu leur donner l’idée
d’un gouvernement républicain : heureusement le préfet Anthemius s’empara
de l’autorité, et conserva un ascendant durable sur ses égaux par la
supériorité de son mérite [3789] .
Il prouva sa fidélité par le soin qu’il prit du jeune Théodose, et l’étendue de
ses talents par la fermeté avec laquelle il conduisit l’administration
difficile d’une minorité. Uldin campait au milieu de la Thrace avec une
nombreuse armée de Barbares, rejetait insolemment toutes les propositions de
paix, et disait aux ambassadeurs romains, en leur montrant le soleil levant,
que les conquêtes des Huns ne se termineraient qu’avec le cours de cet astre.
Mais, abandonné de ses alliés, que l’on eut soin de convaincre chacun en
particulier de la justice et de la libéralité des ministres impériaux, il fut
obligé de repasser le Danube. La tribu des Scyrres, qui formait son
arrière-garde, fut presque entièrement détruite ; et l’on dispersa plusieurs
milliers de captifs dans les plaines de l’Asie [3790] , où ils
servirent utilement aux travaux de l’agriculture. Au milieu de la victoire,
Anthemius ne négligea point les précautions ; il fit environner Constantinople
d’un nouveau mur plus épais et plus élevé. Ses soins vigilants s’étendirent aux
fortifications des villes d’Illyrie, et il conçut un plan sagement combiné,
qui, établissant sur le Danube, en l’espace de sept années, une flotte de deux
cent cinquante vaisseaux [3791] toujours armés, aurait défendu invinciblement le passage de ce fleuve.
Mais les Romains étaient accoutumés depuis si longtemps à
l’autorité d’un monarque, que la première personne, même dans le nombre des
femmes de la famille impériale, qui montra du courage et de la capacité,
s’empara facilement du trône de Théodose ; et cette personne fut Pulchérie [3792] , sœur du jeune
souverain, son aînée seulement de deux ans, qui obtint, dans sa seizième année
le titre d’Augusta. Quoique le caprice ou l’intrigue ait quelquefois diminué
passagèrement sa faveur, elle gouverna l’empire durant près de quarante années,
soit pendant la longue minorité de Théodose, soit après la mort de ce prince,
d’abord en son propre nom et ensuite sous celui de Marcien, qu’elle épousa sous
la clause, qu’il n’userait point des droits de mari. Par des motifs de prudence
ou de dévotion,
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