Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
rang de
consuls et de préfets. Au milieu de la magnificence de leur nouvelle condition,
elle cultiva toujours les talents qui avaient contribué à son élévation, et les
dévoua sagement à sa religion et à son mari. Eudoxie composa une paraphrase
poétique des huit premiers livres et des prophéties de Daniel et de Zacharie ;
un centon des vers d’Homère, appliqué à la vie et aux miracles de Jésus-Christ
; la Légende de saint Cyprien, et un panégyrique des victoires de Théodose sur
les Perses. Ses écrits, admirés par un peuple d’esclaves superstitieux, n’ont
point paru méprisables aux critiques exempts de partialité [3799] . Le temps et la
possession n’affaiblirent point la tendresse de l’empereur ; et après le
mariage de sa fille, Eudoxie obtint la permission de remplir le vœu de sa
reconnaissance par un pèlerinage à Jérusalem. Le faste avec lequel cette
princesse traversa l’Orient, s’éloigne un peu de l’humilité chrétienne. Elle
prononça, sur un trône d’or enrichi de pierres précieuses, un discours éloquent
dans le sénat d’Antioche, déclara l’intention d’élargir l’enceinte de la ville,
fit un don de deux cents livres d’or pour rétablir les bains publics ; et
accepta les statues que la reconnaissance des habitants offrit d’élever en son
honneur. Dans la Terre-Sainte, ses aumônes et ses fondations pieuses
surpassèrent la munificence d’Hélène la Grande et si le trésor public souffrit
un peu de ses libéralités, elle jouit au moins de la satisfaction de rapporter
à Constantinople les chaînes de saint Pierre, le bras droit de saint Étienne,
et le véritable portrait de la Vierge, peint par saint Luc [3800] . Mais ce
pèlerinage marqua le terme fatal de la gloire et de la prospérité d’Eudoxie.
Rassasiée d’une vaine représentation, oubliant peut-être les obligations
qu’elle avait à la sœur de Théodose, elle eut l’ambition de gouverner l’empire.
Le palais fut troublé des différends de deux femmes ; mais l’ascendant de
Pulchérie décida la victoire. L’exécution de Paulin, maître des offices, et la
disgrâce de Cyrus, préfet du prétoire de l’Orient, apprirent au public que la
faveur d’Eudoxie ne suffisait pas pour protéger ses plus fidèles amis et la
rare beauté de Paulin fit soupçonner que son crime était celui d’un amant
heureux [3801] .
Dès que l’impératrice s’aperçut qu’elle avait perdu irrévocablement la
tendresse et la confiance de Théodose, elle demanda la permission de se retirer
à Jérusalem, l’empereur la lui accorda ; mais sa jalousie ou la vengeance de
Pulchérie la poursuivirent dans sa retraite ; et Saturnin, comte des
domestiques, eut ordre d’ôter la vie à deux ecclésiastiques très en faveur
auprès d’Eudoxie. Elle les vengea par la mort du comte ; et l’excès de sa
fureur, dans cette occasion suspecte, semble justifier la sévérité de
Théodose. L’impératrice fut ignominieusement dépouillée des honneurs de son
rang, et déshonorée peut- être injustement dans l’opinion publique. Eudoxie
passa dans l’exil et dans la dévotion les seize années qu’elle survécut à sa
disgrâce [3802] .
L’approche de la vieillesse, la mort de Théodose, les infortunes de sa fille
unique menée en captivité de Rome à Carthage, et la société des saints moines
de la Palestine, confirmèrent son penchant à la dévotion. Après avoir éprouvé
les vicissitudes de la vie humaine, la fille du philosophe Leontius mourut â
Jérusalem [3803] ,
dans la soixante-septième année de son âge, et protestant jusqu’à son dernier
soupir, qu’elle n’avait jamais passé les bornes de l’innocence et de l’amitié.
L’ambition des conquêtes ou de la gloire militaire n’avait
jamais agité l’âme tranquille de Théodose, et la faible alarme de la guerre de
Perse interrompit à peine le repos de l’Orient. Les motifs de cette guerre
étaient aussi justes qu’honorables. Dans la dernière année du règne de
Jezdegerd, le tuteur supposé de Théodose, un évêque qui aspirait à la couronne
du martyre détruisit à Suze un des temples du Feu [3804] . Son zèle et
son opiniâtreté attirèrent la vengeance sur ses frères ; les mages irrités
excitèrent une persécution violente ; et Varanes ou Bahram, qui succéda au
trône de Jezdegerd, hérita aussi de son ressentiment. Quelques chrétiens
fugitifs s’étaient réfugiés sur les frontières des Romains ; ils
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