Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
camp, d’intercepter ses convois, et de le forcer à accepter un traité
honteux ou un combat inégal, mais l’impatience des Barbares dédaigna bientôt la
lenteur de ces prudentes mesures ; et la sage politique d’Ætius craignit de
rendre, par la destruction des Huns, l’orgueil et la puissance des Goths
beaucoup trop redoutables. Il employa l’ascendant de la raison et de l’autorité
pour calmer le ressentiment que le fils de Théodoric regardait comme un devoir.
Le patrice lui représenta, avec une apparence d’attachement à ses intérêts, le
danger très réel de son absence, et lui conseilla de déconcerter, par un prompt
retour à Toulouse, les desseins ambitieux de ses frères, qui pouvaient usurper
son trône et s’emparer de ses trésors [3958] .
Après le départ des Goths et la séparation des alliés, Attila fut surpris du
vaste silence qui régnait dans les plaines de Châlons. La crainte de quelque
stratagème le contint plusieurs jours dans l’enceinte de ses chariots, et sa
retraite au-delà du Rhin attesta la dernière des victoires remportées au nom de
l’empereur d’Occident. Mérovée et ses Francs suivirent l’armée des Huns
jusqu’aux confins de la Thuringe, en ayant soin toutefois de se tenir toujours
à une certaine distance, et de faire paraître leur nombre plus grand qu’il
n’était réellement, par la quantité de feux qu’ils allumaient chaque nuit. Les
Thuringiens servaient dans l’armée d’Attila, ils traversèrent le territoire des
Francs dans leur marche et dans leur retour, et ce fut peut-être alors qu’ils
exercèrent les horribles cruautés dont le fils de Clovis tira vengeance
quatre-vingts ans après. Les Thuringiens massacrèrent leurs prisonniers et même
les otages ; firent périr dans les tourments les plus recherchés deux cents
jeunes filles dont les unes furent écartelées par des chevaux sauvages, les
autres écrasées sous le poids des chariots que l’on fit passer sur elles, et
leurs membres épars sur la route servirent de pâture aux loups et aux vautours.
Tels étaient les sauvages ancêtres dont les vertus imaginaires ont obtenu les
louanges et excité quelquefois l’envie des siècles civilisés [3959] .
Le mauvais succès de l’expédition des Gaules n’altéra ni les
forces, ni le courage, ni même la réputation d’Attila. Dans le printemps
suivant, il fit une seconde demande de la princesse Honoria, et des trésors qui
lui appartenaient. Sa demande fut encore rejetée ou éludée, et le fougueux
Attila reprit les armes ; passa les Alpes, envahit l’Italie, et assiégea
Aquilée avec une armée aussi nombreuse que la première. Les Barbares
n’entendaient rien à la conduite d’un siège, qui même chez les anciens exigeait
quelque théorie ou au m’oins quelque pratique des arts mécaniques : mais les
travaux de plusieurs milliers d’habitants de la province et des captifs, dont
on sacrifiait la vie sans pitié, pouvaient exécuter les ouvrages les plus
pénibles et les plus dangereux ; et les artistes romains vendaient peut-être
leur secours aux destructeurs de leur pays. Les Huns se servirent contre les
murs d’Aquilée des béliers, des tours roulantes et des machines qui lançaient
des pierres, des dards et des matières enflammées [3960] . Le roi des
Huns employait tour à tour l’influence de l’espoir de la crainte de l’émulation
et de l’intérêt pour détruire la seule barrière qui retardât la conquête de
l’Italie. Aquilée était alors une des plus fortes villes maritimes, et une des
plus riches et des plus peuplées de la côte de la mer Adriatique. L’intrépidité
des Goths auxiliaires, commandés, à ce qu’il parait, par leurs princes
nationaux, Alaric et Antala, se communiquait aux citoyens, qui se rappelaient
encore la glorieuse résistance de leurs ancêtres contre un Barbare féroce et
inexorable, qui déshonorait la majesté de la pourpre romaine. Après trois mois
d’un siége inutile, le manque de subsistances et les clameurs de l’armée
contraignirent Attila de renoncer à son entreprise, et il donna à regret, pour
le lendemain, l’ordre de plier les tentes et de commencer la retraite. Triste,
pensif et indigné ; il faisait le tour des murs d’Aquilée ; lorsqu’il aperçut
une cigogne qui, suivie de ses petits, s’envolait d’une tour et semblait
abandonner son nid. Saisissant sur-le-champ en habile politique ce que ce
frivole incident pouvait offrir à la superstition,
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