Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
par son zèle et
son succès à établir ses opinions et son autorité, sous les noms révérés de foi
orthodoxe et de discipline ecclésiastique. Attila était campé à l’endroit où le
cours lent et tortueux du Mincius vient se terminer, et se perdre dans les
vagues écumantes du lac Benacus [3975] ,
et sa cavalerie scythe foulait l’héritage de Catulle et de Virgile [3976] ; ce fut là
qu’il reçut les ambassadeurs romains, dans sa tente, et les écouta avec une
attention obligeante et même respectueuse. La délivrance de l’Italie fut
achetée par l’immense rançon ou douaire de la princesse Honoria. L’état où
était son armée contribua sans doute à faciliter le traité et à hâter sa
retraite. Les jouissances du luxe et la chaleur du climat avaient énervé la
valeur de ses soldats. Les pâtres du Nord, dont la nourriture ordinaire
consistait en lait et en viande crue s’étaient livrés avec excès à l’usage du
pain, du vin et de la viande préparée et assaisonnée à la manière des Romains
et les progrès de la maladie parmi eux commençaient à venger l’Italie [3977] . Lorsque Attila
déclara sa résolution de conduire son armée victorieuse aux portes de Rome, ses
amis et ses ennemis concoururent à l’en détourner, en lui rappelant qu’Alaric
n’avait pas survécu longtemps à la conquête de la ville éternelle . L’âme
intrépide que ne pouvait émouvoir la présence du danger, ne fut pas à l’abri
d’une terreur imaginaire ; le roi des Huns n’échappa point à l’influence de la
superstition dont il s’était si fréquemment servi pour le succès de ses
desseins [3978] .
L’éloquence pressante de Léon, sa démarche majestueuse et ses habits
pontificaux inspirèrent au prince barbare un sentiment de vénération pour le
père spirituel des chrétiens ; l’apparition des deux apôtres saint Pierre et
saint Peul, qui menacèrent le conquérant d’une prompte mort s’il rejetait la
prière de leur successeur, est une des plus belles légendes de la tradition
ecclésiastique. Le destin de Rome pouvait mériter l’intervention du Ciel, et
l’on doit quelque indulgence à une fable qui a été représentée par le pinceau
de Raphaël et par le ciseau de l’Algardi [3979] .
Avant de quitter l’Italie, le roi des Huns menaça d’y
revenir plus terrible encore et plus implacable si, avant le terme convenu par
le traité, l’on ne remettait pas son épouse, la princesse Honoria, entre les
mains de ses ambassadeurs ; mais, en attendant, Attila, pour calmer ses tendres
inquiétudes, ajouta à la liste de ses nombreuses épouses, une jeune beauté,
nommée Ildico [3980] .
Après avoir célébré son mariage dans le palais du village royal, situé au-delà
du Danube, par toutes les fêtes usitées chez les Huns, le monarque, accablé de
vin et de sommeil, quitta fort tard les plaisirs de la table pour se livrer à
ceux de l’amour. Dans la crainte de les troubler ou d’interrompre son repos,
ses domestiques n’osaient entrer le lendemain dans son appartement ; mais la
plus grande partie du jour s’étant passée sans que ceux qui attendaient à sa
porte entendissent le moindre bruit, l’inquiétude l’emporta sur le respect ;
leurs cris répétés n’ayant pas réussi à éveiller le monarque, ils se
précipitèrent dans la chambré de leur maître, et trouvèrent sa nouvelle épouse
assise tremblante à côté du lit, le visage couvert de son voile, déplorant le
danger de sa propre situation et la perte d’Attila. Une de ses artères s’était
rompue pendant la nuit, et, se trouvant couché, il avait été suffoqué par le
sang qui, au lieu de s’échapper par les narines, avait regorgé dans les poumons
et l’estomac [3981] .
On exposa son corps au milieu de la plaine sous un pavillon de soie, et des
escadrons de Huns en firent plusieurs fois le tour en chantant des vers à
l’honneur d’un héros plein de gloire durant sa vie, invincible, même à sa mort,
le père de son peuple, le fléau de ses ennemis et la terreur de l’univers. Les
Barbares coupèrent suivant l’usage, une partie de leurs cheveux, se couvrirent
le visage de hideuses blessures, et firent couler, en l’honneur de leur
intrépide général, non les larmes des femmes, mais le sang des guerriers. Le
corps d’Attila, renfermé dans trois cercueils, le premier d’or, le second d’argent
et le dernier de fer, fut mis en terre pendant la nuit. On ensevelit dans la
même tombe
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