Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
défigurer grossièrement les plus beaux morceaux d’architecture.
Un peuple dégénéré détruisait d’une main sacrilège les monuments élevés par ses
ancêtres, et la postérité des premiers Romains ne songeait qu’à s’enrichir de
loirs dépouilles. Majorien, qui avait souvent contemplé ce désordre avec
douleur, en arrêta, par une ordonnance sévère, les progrès toujours croissants [4033] ; il réserva au
prince et au sénat la connaissance exclusive des circonstances qui pourraient
nécessiter la destruction d’un ancien édifice ; condamna à une amène de
cinquante livres d’or, ou environ deux mille livres sterling, tout magistrat
qui, au mépris des lois et de la décence, prendrait sur lui d’en accorder la
permission, et menaça de punir la complicité des officiers inférieurs par le
châtiment du fouet et l’amputation des deux mains. On trouvera peut-être
qu’entre le crime et cette dernière peine, le législateur n’observa point de
proportion ; mais son zèle partait d’un sentiment généreux, et Majorien avait à
cœur de protéger les monuments des siècles dans lesquels il aurait désiré et
mérité de vivre. L’empereur sentit qu’il était de son intérêt de multiplier le
nombre de ses sujets, et que son devoir lui prescrivait de conserver la pureté
du lit nuptial ; mais il employa pour y réussir des moyens douteux, et
peut-être condamnables. On défendit aux vierges qui consacraient à Dieu leur
virginité de prendre le voile avant l’âge de quarante ans. Les veuves
au-dessous de cet âge furent forcées de contracter un second mariage dans le
terme de cinq ans, sous peiné d’abandonner à leur plus proche héritier, ou à
l’État, la moitié de leur fortune. On condamna et on annula même les mariages
d’âges disproportionnés. La confiscation et l’exil parurent, trop faibles pour
punir les adultères, et d’après une déclaration expresse de Majorien, si le
coupable rentrait en Italie, on pouvait le tuer sans que le meurtrier fut
exposé à aucune recherche [4034] .
Tandis que Majorien travaillait assidûment à rappeler chez
les Romains le bonheur et la vertu, il eut à combattre Genseric, le plus
formidable de leurs ennemis par son caractère et sa situation. Une flotte de
Maures et de Vandales aborda à l’embouchure du Liris ou Garigliano ; mais les
troupes impériales surprirent les Barbares chargés et embarrassés des
dépouilles de la Campanie, les forcèrent à regagner leurs vaisseaux avec
beaucoup de perte et le beau-frère de Genseric, qui commandait l’expédition,
fut trouvé dans le nombre des morts [4035] .
Cette vigilance annonçait l’esprit du nouveau règne ; mais la plus exacte
vigilance et les forces les plus nombreuses n’auraient pas suffi pour défendre
la côte étendue de l’Italie des ravages d’une guerre maritime. On attendait du
génie de Majorien une entreprise plus hardie et plus avantageuse pour l’empire.
C’était de lui seul que Rome osait espérer la restitution de l’Afrique ; et le
dessein qu’il forma d’attaquer les Vandales dans leurs nouvelles possessions,
était le résultat d’une politique savante autant que courageuse. Si l’empereur
avait pu inspirer une partie de son intrépidité à la jeunesse de l’Italie, s’il
avait pu ranimer dans le Champ-de-Mars la pratique de ces exercices militaires
dans lesquels il avait toujours surpassé ses compagnons d’armes, il aurait
attaqué Genséric à la tête d’une armée de Romains. Une génération naissante
pourrait adopter cette réforme des mœurs nationales ; mais un prince qui
travaille à reculer la décadence d’une monarchie chancelante est presque
toujours forcé, pour obtenir quelque avantage immédiat ou détourner quelque
danger pressant, de tolérer ou même de multiplier les abus les plus pernicieux.
Majorien fut réduit, comme le plus faible de ses prédécesseurs à l’expédient
honteux à remplacer ses timides sujets par des Barbares auxiliaires ; et il ne
put prouver la supériorité de ses talents que par la valeur et l’adresse avec
laquelle il sut manier un instrument dangereux, toujours prêt à blesser la main
qui l’emploie. Outre les confédérés qui étaient déjà enrôlés au service de
l’empire, la réputation de sa valeur et de sa libéralité attira les Barbares du
Danube, du Borysthène et peut-être du Tanaïs. Les plus braves soldats d’Attila,
les Gépides, les Ostrogoths, les Rugiens, les
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