Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Pentecôte. La ferveur des nouveaux monastères
se relâcha insensiblement, et l’appétit vorace des Gaulois ne s’accoutuma point
aux jeûnes des sobres et patients Égyptiens [4179] . Les disciples
de saint Antoine et de saint Pachôme se contentaient, pour pitance journalière [4180] , de douze onces
de pain ou plutôt de biscuit [4181] ,
dont ils faisaient deux minces repas, l’un après midi et l’autre le soir.
C’était un mérite et presque un devoir de s’abstenir des légumes bouillis
destinés pour le réfectoire ; mais l’indulgence de l’abbé allait
quelquefois jusqu’à leur accorder du fromage, des fruits, de la salade, et même
des poissons secs [4182] .
On y ajouta peu à peu une augmentation de poisson de mer et de rivière ; mais longtemps
on ne toléra l’usage de la viande que pour les malades et pour les
voyageurs ; et lorsque les monastères moins rigides de l’Europe adoptèrent
cette nourriture, ils introduisirent une distinction assez extraordinaire. Les
oiseaux sauvages et domestiqués leur semblèrent probablement moins profanes que
la viande plus grossière des quadrupèdes. L’eau pure était l’innocente boisson
des premiers moines ; et le fondateur des bénédictins déclame contre
l’intempérance du siècle, qui le forçait d’accorder un demi-setier de vin par
jour à chaque religieux [4183] .
Les vignes de l’Italie fournirent aisément cette modique provision ; et ses
disciples victorieux, lorsqu’ils passèrent les Alpes, Rhin ou la mer Baltique,
exigèrent, au lieu de vin, une mesure proportionnée de cidre ou de bière forte.
Le candidat qui aspirait à la vertu de pauvreté évangélique,
abjurait en entrant dans une communauté, l’idée et même le nom de toute
possession exclusive ou particulière [4184] ; les frères vivaient en commun du fruit de leurs travaux manuels ; le travail
leur était recommandé comme pénitence, comme exercice, et comme le moyen le
plus estimable d’assurer leur subsistance [4185] .
Les moines cultivaient soigneusement les jardins et les terres qu’ils avaient
défrichés dans les forêts ou desséchés dans des marais. Ils exécutaient sans
répugnance toutes les œuvres serviles des domestiques et des esclaves, et
l’enceinte des grands monastères contenait les différents métiers nécessaires
pour fournir les habits, les ustensiles et bâtir les logements des moines. Les
études monastiques ont plus contribué à épaissir qu’à dissipés les ténèbres de
la superstition ; cependant le zèle et la curiosité de quelques savants
solitaires ont cultivé les sciences ecclésiastiques et même profanes ; et là
postérité doit avouer, avec reconnaissance, qu’on leur doit la conservation des
monuments de l’éloquence grecque et latine, dont leur plume infatigable a
multiplié les copies [4186] :
mais, le plus grand nombre des moines, et surtout en Égypte, se livraient à un
genre d’industrie moins élevé, se contentaient de l’occupation silencieuse et
sédentaire de faire des sandales de bois, des paniers et des nattes de feuilles
de palmiers, dont ils vendaient le superflu pour subvenir aux besoins de la
communauté. Les bateaux de Tabenne et des autres monastères de la Thébaïde
descendaient le Nil jusqu’à Alexandrie ; et dans un marché de chrétiens, la
sainteté des ouvriers, pouvait ajouter à la valeur intrinsèque de l’ouvrage.
Mais, le travail des mains devint bientôt inutile. Le novice
se laissait facilement persuader de disposer de sa fortune en faveur des saints
avec lesquels il devait passer sa vie, et la pernicieuse indulgence des lois
lui permettait de recevoir, pour l’usage du monastère, tous les legs ou
héritages qui pourraient lui survenir après sa profession [4187] . Sainte Mélanie
vendit sa vaisselle d’argent, du poids de trois cents livres ; et sainte Paule
contracta une dette très considérable pour soulager ses moines favoris, qui
associaient généreusement au mérite de leurs prières et de leur pénitence, le
pécheur dont ils connaissaient la richesse et la libéralité [4188] . L’opulence des
monastères s’accrut avec le temps, et souffrit peu de quelques circonstances
accidentelles qui pouvaient la diminuer ; leurs possessions s’étendirent bientôt
sur les campagnes et jusque dans les villes voisines ; et, dans le premier
siècle de leur institution, le païen Zozime a observé malignement que, pour le
service des pauvres, les moines chrétiens
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