Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
leur influence, et les passions
l’emportaient souvent sur le fanatisme. Il étendait principalement son empire
sur les âmes tendres, sur les esprits faibles des femmes et des enfants. Il se
fortifiait de l’influence du malheur ou de quelques remords secrets, et des
considérations d’intérêt ou de vanité purent aussi venir quelquefois à son
aide. On supposait naturellement que des moines humbles et pieux qui avaient
renoncé au monde pour accomplir l’œuvre du salut, étaient les hommes les plus
propres à diriger le gouvernement spirituel des chrétiens ; et l’ermite,
arraché malgré lui da sa cellule, allait, au milieu des acclamations du peuple,
s’asseoir sur le siége archiépiscopal. Les monastères de l’Égypte, de la Gaule
et de l’Orient, fournissaient une succession abondante de saints et d’évêques ;
et l’ambition découvrit bientôt la route qui conduisait aux richesses et aux
honneurs [4159] .
Les moines répandus dans le monde partageaient les succès et la réputation de
leur ordre, et travaillaient assidûment à multiplier le nombre de leurs
compagnons d’esclavage [4160] .
Ils s’insinuaient dans la familiarité des citoyens distingués par la naissance
et par la fortune, et ne négligeaient ni artifices ni séductions pour s’assurer
des prosélytes qui pussent ajouter aux richesses ou à la dignité de la
profession monastique. Le père se voyait avec indignation enlever son fils
unique ; la fille crédule se laissait entraîner par vanité à manquer au vœu de
la nature, et la matrone renonçait aux vertus et aux devoirs de la vie
domestique [4161] ,
pour parvenir à une perfection imaginaire [4162] .
Sainte Paule, séduite par l’éloquence persuasive de saint Jérôme, et par le
titre profane de belle-mère de Dieu [4163] ,
consacra la virginité de sa fille Eustochie. Par les conseils et sous la
conduite de son guide spirituel, sainte Paule abandonna Rome et son fils encore
dans l’enfance, se retira dans le village de Bethléem, fonda un hôpital et
quatre monastères, et acquit, par sa pénitence et ses aumônes, une grande
renommée dans l’Église catholique. On célébrait ces exemples rares et illustres
comme la gloire de leur siècle : mais les monastères étaient remplis d’une
foule de plébéiens obscurs et de la plus basse classe [4164] , qui trouvaient
dans le cloître beaucoup plus qu’ils n’avaient sacrifié en se séparant du
monde. Des paysans, des esclaves et des artisans trouvaient facile d’échapper à
la pauvreté et aux mépris en se réfugiant dans une profession tranquille et
respectée, dont les peines apparentes étaient adoucies par l’habitude, par les
applaudissements publics et par le relâchement secret de la discipline [4165] . Les sujets de
Rome qui voyaient leurs personnes et leurs biens exposés à répondre du
paiement d’une taxe exorbitante et inégalement répartie, échappaient dans les
cloîtres à la tyrannie du gouvernement, et une partie des jeunes hommes
préféraient les rigueurs de la vie monastique aux dangers du service militaire.
Les différentes classes des timides habitants des provinces qui, fuyant à la
vue des Barbares, y trouvaient une retraite et une subsistance ; des légions
entières s’enterraient dans ces religieux asiles ; et la même cause qui
adoucissait le sort des particuliers, détruisait peu à peu les forces et les
ressources de l’empire [4166] .
La profession monastique parmi les premiers chrétiens était
un acte de dévotion volontaire [4167] .
Le fanatique dont la constance venait à se démentir, était dévoué à la
vengeance du Dieu qu’il abandonnait ; mais les portes du monastère
s’ouvraient librement au repentir, et les moines que leur raison ou leurs
passions parvenaient à aguerrir contre les scrupules de leur conscience,
pouvaient reprendre le caractère d’homme et de citoyen ; les épouses du Christ
passaient même légalement dans les bras d’un mortel [4168] . Quelques
exemples de scandale et les progrès de la superstition suggérèrent le dessein
d’employer des lois prohibitives. Après une épreuve suffisante, le novice se
lia pour toute sa vie par un vœu solennel ; et les lois de l’État et de
l’Église ratifièrent cet engagement irrévocable. Les fugitifs furent déclarés
criminels, poursuivis, arrêtés et reconduits dans leur prison perpétuelle, et
l’interposition de l’autorité civile ôta à l’état monastique ce
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