Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dans le sixième siècle on fonda à
Jérusalem un hôpital pour recevoir une petite partie des pénitents dont les
austérités avaient troublé la raison [4197] ; mais avant que leur délire arrivât à cet excès qui se permettait plus de le
révoquer en doute, leurs visions ont fourni des matériaux abondants à
l’histoire des prodiges et des miracles. Ils croyaient fermement que l’air
qu’ils respiraient était peuplé d’une multitude d’ennemis invisibles,
d’innombrables démons voltigeant sans cesse autour d’eux, prenant à leur gré
toutes sortes de formes, épiant avec soin toutes les occasions de les
épouvanter, et particulièrement de tenter leur vertu. Leur imagination et même
leurs sens se laissaient frapper des illusions que leur présentait un fanatisme
en démence ; et l’ermite que le sommeil surprenait malgré lui, tandis qu’il
récitait ses prières nocturnes, croyait souvent avoir vu depuis son réveil les
fantômes horribles ou séduisants qui lui étaient apparus en songe [4198] .
On distinguait les moines en deux espèces : les
cénobites qui suivaient en communauté la même règle ; et les anachorètes, qui
vivaient seuls et suivaient librement l’impulsion de leur fanatisme [4199] . Les plus
dévots ou les plus ambitieux renonçaient aux couvents comme au monde. Les
fervents monastères de l’Égypte, de la Palestine et de la Syrie, étaient
environnés d’une laura [4200] ,
d’un certain nombre de cellules qui formaient un cercle à quelque distance
autour du couvent. Excités par les louanges et l’émulation, ces ermites
renchérissaient les uns sur les autres en austérités extravagantes [4201] . Ils
succombaient sous le poids des chaînes et des croix ; et se chargeaient le
corps, le cou, les bras et les jambes, d’anneaux et de plaques de fer d’un poids
énorme et scellés autour de leurs membres amaigris ; ils rejetaient avec mépris
tout vêtement superflu, et l’on a même admiré des saints des deux sexes dont la
nudité n’était couverte que par la longueur de leurs cheveux. Ils semblaient
jaloux de se réduire à l’état sauvage et misérable, qui assimile l’homme au
reste des animaux. Une nombreuse secte d’anachorètes de la Mésopotamie tira son
nom de l’habitude qu’ils avaient de pâturer dans les champs avec les troupeaux [4202] . Ils
s’emparaient du repaire d’une bête sauvage et s’efforçaient de lui ressembler ;
ils s’ensevelissaient dans de sombres cavernes creusées dans le roc, soit par
la nature ou la main des hommes. On trouve encore dans les carrières de la
Thébaïde des blocs de marbre chargés d’inscriptions, monuments de leur
pénitence [4203] .
La perfection des ermites consistait à passer plusieurs jours sans nourriture,
plusieurs nuits sans sommeil ; et à garder le silence durant plusieurs années ;
et une gloire certaine attendait l’ermite (s’il est permis n’abuser ainsi de ce
nom) dont l’imagination avait pu inventer une habitation construite de telle
sorte, qu’il s’y trouvât dans la posture la plus gênante et exposé aux
intempéries de l’air.
Parmi les héros de la vie monastique, saint Siméon Stylite a
immortalisé son nom par la singularité de sa pénitence aérienne [4204] . A l’âge de
treize ans, le jeune pâtre de Syrie quitta son métier et se renferma dans un
monastère d’une règle très austère. Après un noviciat long et pénible, pendant
lequel on eut plusieurs fois à empêcher le zèle religieux du jeune Siméon de se
porter jusqu’au suicide, il établit sa résidence sur une montagne, à trente ou
quarante milles à l’orient d’Antioche. Dans l’enceinte d’une mandra ou
cercle de pierres où il s’attacha lui-même avec une chaîné pesante, Siméon
monta sur une colonne qui fut successivement élevée de neuf pieds à la hauteur
de soixante [4205] .
L’anachorète y passa trente années exposé à l’ardeur brûlante des étés et aux
froids rigoureux de l’hiver. L’habitude et la pratique lui apprirent à se
maintenir sans crainte et sans vertiges dans ce poste, difficile, et à y
prendre différentes postures de dévotion. Il priait quelquefois debout et les
bras tendus en forme de croix ; mais son exercice le plus ordinaire était de
courber et de redresser alternativement son corps décharné en baissant sa tête
presque jusqu’à ses pieds. Un spectateur curieux compta jusqu’à douze cent
quarante-quatre répétitions ; et n’eut pas la
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