Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
qui chez Épicure s ’ exerce par des amis choisis et éprouvés ; aussi peu écrivains l ’ un que l ’ autre ; m ais, tandis que Zénon crée des mots nouveaux ou des significations nouvelles, Épicure, polygraphe comme Chrysippe, se contente d ’ un langage simple et négligé.
Nous sommes d ’ ailleurs, au jardin d ’ Athènes, entre Grecs de bonne souche : Épicure est d ’ Athènes, quoiqu ’ il ait été élevé à Samos ; et ce sont aussi les côtes ou îles voisines de l ’ Ionie, d ’ où viennent les premiers disciples ; Lampsaque, en Troade, p.334 envoie Métrodore, Polyaenus, Leonteus, Colotès et Idoménée ; de Mitylène vient Hermarque, le premier successeur d ’ Épicure. Quel accueil devait faire à tous ceux qui en étaient dignes celui qui se vantait d ’ avoir commencé à philosopher à quatorze ans et qui écrivait à Ménécée : « Que le jeune homme n ’ attende pas pour philosopher ; que le vieillard ne se fatigue pas de philosopher ; il n ’ est jamais trop tôt ni trop tard pour donner des soins à son âme. Dire que l ’ heure de philosopher n ’ est pas encore arrivée ou qu ’ elle est passée, c ’ est dire que l ’ heure de désirer le bonheur n ’ est pas encore ou qu ’ elle n ’ est plus [471] . »
Épicure, né à Athènes en 341, passa sa jeunesse à Samos et ne revint à Athènes qu ’ en 323 ; il y séjourna alors fort peu, et sa retraite à Colophon, après la mort d ’ Alexandre, paraît être liée à l ’ hostilité que lui montrèrent les maîtres macédoniens d ’ Athènes ; il revint à Athènes quelques années après et y fonda école en 306, sous le gouvernement de Démétrius Poliorcète. On connaît le fameux jardin, qu ’ il acheta quatre-vingts mines, où, jusqu ’ à sa mort, qui eut lieu en 270, il s ’ entretint avec ses amis, trouvant en eux une consolation à une cruelle maladie qui, semble-t-il, le tint paralysé pendant plusieurs années. « De tout, ce que la sagesse nous prépare pour le bonheur de la vie entière, écrivait-il en songeant à cette intimité de tous les instants, la possession de l ’ amitié est de beaucoup le plus important [472] . » Et son testament, que nous a conservé Diogène Laërce ( X, 16 sq. ), nous le montre avant tout préoccupé de maintenir cette société dont il était l ’ âme ; ses exécuteurs testamentaires ont pour charge de conserver le jardin pour Hermarque et tous ceux qui lui succéderont à la tête de l ’ école ; à Hermarque et aux philosophes de la société, il lègue la maison qu ’ ils doivent habiter en commun ; il prescrit des cérémonies commémoratives annuelles en son honneur et en l ’ honneur de ses disciples déjà disparus, Métrodore et Polyaenus ; il prévoit p.335 le sort de la fille de Métrodore, et recommande en général de pourvoir aux besoins de tous ses disciples. Dès ce moment d ’ ailleurs, des centres épicuriens commençaient à se fonder dans les villes d ’ Ionie, à Lampsaque, à Mitylène et même en Égypte, et ils voulaient attirer le maître vers eux [473] .
C ’ est à cet essaimage de l ’ école que nous devons sans doute les seuls documents directs par lesquels nous connaissons Épicure, trois lettres-programmes contenant un résumé du système, l ’ une à Hérodote sur la nature, l ’ autre à Pythoclès sur les météores, la troisième à Ménécée sur la morale ; de pareilles lettres pouvaient être écrites de concert avec ses principaux disciples, Hermarque et Métrodore, comme c ’ est le cas de quelques-unes que nous avons perdues [474] . Outre ces lettres, nous avons les Pensées principales, où, en quarante pensées, Épicure résume son système ; il faut y ajouter quatre-vingt une pensées découvertes en 1888.
Tel est l ’ homme à la santé délicate et au cœur exquis, que ses ennemis représentent comme un débauché et qui prêchait en ces termes la morale du plaisir : « Ce ne sont pas les boissons, la jouissance des femmes ni les tables somptueuses qui font la vie agréable, c ’ est la pensée sobre qui découvre les causes de tout désir et de toute aversion et qui chasse les opinions qui troublent les âmes [475] » .
On sait combien il fut vénéré de ses premiers disciples, et l ’ on connaît les beaux vers dans lesquels, plus de deux cents ans après sa mort, Lucrèce rend hommage à son génie :
« Ce fut un dieu, oui un dieu, celui
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