Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
qui le premier découvrit cette manière de vivre que l ’ on appelle maintenant la sagesse, celui qui par son art, nous fit échapper à de telles tempêtes et à une telle nuit pour placer notre vie en un séjour si calme et si lumineux (V, 7). »
p.336 Le calme de l ’ âme et la lumière de l ’ esprit : deux traits inséparables et dont l ’ intime liaison fait l ’ originalité de l ’ épicurisme. Le calme de l ’ âme ne peut être atteint que par cette théorie générale de l ’ univers qu’est l’atomisme et qui, seule, fait disparaître toute cause de crainte et de trouble.
II. — LA CANONIQUE ÉPICURIENNE
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« Épicure, dit Cicéron, a beaucoup de mots très brillants ; mais il ne se soucie guère de rester d ’ accord avec lui-même [476] . » Sa philosophie est en effet une de celles qui procède par des évidences discrètes et séparées dont chacune se suffit à elle-même.
La première partie de cette philosophie, la canonique, qui concerne les critères ou canons de la vérité, n ’ est rien d ’ analogue à la logique stoïcienne ; elle est seulement l ’ énumération de diverses sortes d ’ évidence ; la passion ou affection passive (πάθος), la sensation, la prénotion (πρόληψις), et un quatrième critère que Diogène attribue seulement aux disciples d ’ Épicure, mais que nous voyons en fait souvent employé par le maître lui-même, le coup d ’œil ou intuition de la réflexion (φανταστική ε̉πιбολή τη̃ς διανοίας).
La première évidence est celle de la passion, c ’ est-à-dire du plaisir et de la douleur. Aristippe aussi en avait fait un critère, mais en un sens un peu différent ; seul, pour lui, l ’ état passif est perceptible et l ’ on ne peut en connaître sûrement la cause ; pour Épicure au contraire, l ’ évidence porte sur la cause du critère ; le plaisir fait nécessairement connaître une cause de plaisir, qui est agréable, la souffrance, une cause de souffrance, qui est pénible [477] . En faisant de la sensation (au sens passif d ’ impression sensible) un second critère de la vérité, Épicure veut dire aussi tout autre chose qu ’ Aristippe : pour lui, chaque p.337 sensation, état passif, nous renseigne d ’ une manière tout à fait sûre et certaine sur la cause active qui l ’ a produite ; toutes les sensations sont également vraies, et les objets sont exactement tels qu ’ ils nous apparaissent ; il n ’ y a aucune raison de suspecter les renseignements qu ’ elles nous donnent, à condition seulement de nous y tenir, puisque, étant purement passives et irrationnelles, elles ne peuvent rien ajouter à l ’ influence extérieure ou rien en retrancher ; et il n ’ y a aucune raison de douter des unes plutôt que des autres ; « dire qu ’ une sensation est fausse reviendrait à dire que rien ne peut être perçu [478] . » Et, si l ’ on objecte aux Épicuriens ces contradictions des sens et ces illusions qui devenaient un argument courant des adversaires du dogmatisme, ils montrent comment l ’ erreur est non pas dans la représentation mais dans un jugement qu ’ y ajoute la raison ; une tour est vue ronde de loin et vue carrée de près ; on ne se trompe pas en disant qu ’ on la voit ronde, mais seulement en croyant que l ’ on continuera à la voir ronde, si l ’ on s ’ en approche ; la contradiction n ’ est pas entre les représentations, mais entre les jugements qu ’ on y ajoute. Une confiance dans l ’ évidence immédiate accompagnée de méfiance envers tout ce qu ’ ajoute la raison, telle est la marque de la doctrine de la connaissance d’Épicure.
La tactique constante de ses adversaires a été d ’ essayer de réduire ce dogmatisme à un subjectivisme, borné aux impressions immédiates ; et les Épicuriens s ’ en sont toujours défendus. Cette défense paraît être le thème du traité de Colotès, disciple immédiat d ’ Épicure, Qu ’ il n ’ est pas possible de vivre selon les dogmes des autres philosophes. Dans ce traité, connu par la réfutation de Plutarque ( Contre Colotès ) , l ’ épicurien attaque successivement Démocrite pour avoir considéré la connaissance sensible comme une connaissance bâtarde, Parménide pour avoir nié la multiplicité des choses, Empédocle pour avoir nié la p.338 réalité des différences de nature entre les choses, Socrate pour avoir hésité
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