Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
plusieurs œuvres, enfin Lucrèce (93-51), voilà bien p.408 des noms qui prouvent à quel point l ’ épicurisme était en vue dans le monde romain.
Les Épicuriens ont à se défendre contre les autres écoles. Dans son traité Sur les Signes , Philodème fait connaître une discussion entre le Stoïcien Denys et les Épicuriens Zénon, Bromius et Démétrius Lacon. On sait l ’ emploi qu ’ Épicure fait des signes pour passer des phénomènes à ces réalités invisibles que sont le vide et les atomes ; le mouvement par exemple est le signe du vide. A quoi Denys objectait qu ’ on n ’ a pas le droit de passer de phénomènes passagers à des réalités d ’ un autre ordre, éternelles et immuables, comme le vide et les atomes ; ou, si l ’ on se fonde sur une analogie avec ce que l ’ on observe, (par exemple en concluant de l ’ immutabilité des espèces à celle des atomes) on doit ou bien la limiter aux cas identiques, et alors elle est inféconde, ou bien on doit indiquer le degré de ressemblance, et on est en plein arbitraire. Zénon répond en défendant l ’ induction épicurienne, « le passage du semblable au semblable » ; son principe est que l ’ invisible (ά̉δηλον) n ’ est tel pour nous que par sa petitesse ; mais les conditions d ’ existence sont les mêmes en petit que celles que nous observons en grand ; ayant par exemple observé dans tous les mouvements que nous constatons ce caractère commun de ne pouvoir se produire que si les obstacles s ’ écartent, nous concluons à bon droit qu ’ il en est de même dans les mouvements cachés. Bromius ne fait d ’ ailleurs pas de difficulté à reconnaître qu ’ il faut rassembler de nombreux faits ; mais surtout des faits semblables qui soient en même temps différents et permettent de mieux dégager la circonstance qui les accompagne inséparablement (τό συνεδρεύον α̉χωρίστως) , et Démétrius ajoute, qu ’ on ne doit conclure que de cas éprouvés de tout côté et qui ne laissent pas à l ’ affirmation contraire une lueur de vraisemblance.
Cette discussion si intéressante, dont nous ne dégageons que deux points essentiels, suppose une sorte de confiance dans une nature inaltérable sur laquelle s ’ appuient les conclusions p.409 inductives ; l ’ Épicurien reconnaît des concepts stables, des « caractères communs immuables » ; « telle chose, dit-il encore, est le concept propre de telle autre chose ; comme lorsque nous disons que le corps, comme tel, a masse et résistance, et que l ’ homme, comme tel, est un animal raisonnable [581] . »
Ce même mélange de rationalisme et d ’ empirisme se voit dans la réponse que Démétrius Lacon fait aux sceptiques qui prétendaient montrer l ’ impossibilité de la démonstration parce qu ’ elle a toujours besoin elle-même d ’ être démontrée. « L ’ on établit une démonstration particulière concluante, par exemple celle qu ’ il y a des atomes et du vide, et l ’ on montre qu ’ elle est sûre ; nous aurons alors en elle la preuve de la démonstration générique ; car, là où est l ’ espèce d ’ un genre, là on trouve le genre dont elle est l ’ espèce [582] . » Toujours le même trait qui rend si sympathique l ’ attitude intellectuelle des Épicuriens : leur dégoût du verbalisme et de la dialectique et leur bravoure à se jeter in medias res .
Le livre de Philodème Sur la Rhétorique donne la réponse épicurienne à la question à la mode, si la rhétorique est un art. Il s ’ agit surtout de savoir si l ’ enseignement qu ’ on donnait dans les écoles de sophistes pouvait être pratiquement utilisé devant les assemblées du peuple et les tribunaux. Épicure déjà disait que « séduits par le bruit des périodes égales, opposées et à chute semblable, les jeunes gens paient un salaire aux sophistes, mais connaissent bientôt qu ’ ils ont perdu leur argent. » C ’ est donc un art, mais un art inutile au politique. Mais il y avait sur ce point des discussions à l ’ intérieur de l ’ école, et l ’ on voit Philodème blâmer sévèrement deux Épicuriens de Rhodes qui prétendent trouver dans Épicure la preuve que la rhétorique n ’ est pas un art.
Son traité De la Musique où il discute les opinions du p.410 stoïcien Diogène de Babylone est aussi d ’ un grand intérêt. Le Stoïcien se montre ici le véritable conservateur et fait
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