Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
— LE SCEPTICISME AU Ier ET AU IIe SIÈCLE
@
L ’ histoire extérieure du scepticisme est fort mal connue ; entre les deux plus illustres sceptiques, Énésidème, qui paraît avoir vécu peu avant notre ère, et Sextus Empiricus dont l ’ œuvre date sans doute de la deuxième moitié du I I e siècle, d ’ autres sceptiques, dont Agrippa, ont vécu à des dates indéterminées.
L ’ œuvre d ’ Énésidème nous est assez bien connue, grâce au résumé de ses Discours pyrrhoniens que le Byzantin Photius a conservé dans sa Bibliothèque (cod. 212). On y voit Énésidème tenant avant tout à se séparer des Académiciens de son temps (sans doute Philon de Larisse), qui sont Stoïciens tout en combattant les Stoïciens et qui dogmatisent sur la vertu et le vice, l ’ être et le non-être. Le but du livre est de démontrer que le sage Pyrrhonien atteint le bonheur en se rendant compte qu ’ il ne perçoit rien avec certitude ni par la sensation, ni par la pensée, et en s ’ affranchissant ainsi des continuels chagrins et p.431 soucis qui atteignent les adeptes des autres sectes. Le scepticisme est donc, lui aussi, une école de bonheur et d ’ ataraxie : Les Discours suivaient dans le détail les philosophies dogmatiques ; ils recherchaient curieusement les discours contraires relatifs aux principes de la physique (agent et patient, génération et corruption, mouvement et sensation), à la méthode de cette même physique (cherchant si les phénomènes sont les signes de réalités cachées, et si l ’ on peut saisir un lien de causalité) enfin aux principes de la morale (le bien et le mal, les vertus, la fin).
Sextus nous a conservé quelques détails de cette argumentation ; Énésidème. disait par exemple que toute génération est impossible, en parcourant toutes les hypothèses possibles : le corps ne peut produire le corps, soit qu ’ il reste en lui-même (car il ne produit alors que lui-même), soit qu ’ il s ’ unisse à un autre ; car il n ’ y aurait aucune raison, si un corps uni à un second en produit un troisième, pour que celui-ci uni à un des deux autres n ’ en produise pas un quatrième, et ainsi à l ’ infini. L ’ incorporel (au sens stoïcien du mot, comme vide, lieu ou temps) ne peut produire l ’ incorporel ; car il est par définition incapable d ’ agir et de pâtir. Le corps ne peut produire l ’ incorporel, ni l ’ incorporel le corps, pas plus que d ’ un platane ne vient un cheval. On le voit, la génération (c ’ est le sous-entendu de toute cette argumentation) est toujours comparée à la production de l ’ être vivant [620] .
Nous connaissons encore ses huit arguments ou tropes contre les causes [621] . Les cherche-t-on dans l ’ insivible ? Comment le visible pourrait-il témoigner (c ’ est le mot du dogmatisme épicurien) en faveur d’un invisible tout à fait différent de lui, immuable et éternel alors qu ’ il est passager ? De quel droit ramener à l ’ unité d ’ une même substance (comme l ’ atome) les causes de phénomènes si multiples ? Comment attribuer p.432 l ’ ordre du monde (comme fait l ’É picurien) à des causes agissant au hasard ? Pourquoi concevoir (toujours selon la méthode des Épicuriens) les actions et passions des choses invisibles sur le modèle des choses visibles ? Pourquoi se vanter, comme ils le font, de suivre les impressions communes et reconnues de tous, alors qu ’ ils ont des hypothèses fort spéciales sur les éléments ? De quel droit restreindre les causes cachées, par exemple celles des météores, à celles qui s ’ accordent avec nos hypothèses ? Pourquoi contredire à la fois les apparences et ses propres hypothèses, en admettant des causes telles que la déclinaison ? Toute cette critique vise avec évidence l ’ épicurisme.
Contre les signes, Énésidème demandait comment il se fait, si, selon la définition stoïcienne, « les signes sont des antécédents visibles et connus de tous destinés à découvrir un conséquent caché » , que les choses signifiées ne soient pas aussi semblables pour tous, pourquoi par exemple la rougeur et l ’ humidité de la peau, la rapidité du pouls sont, pour divers médecins, des symptômes de choses fort différentes [622] .
Enfin l ’ on connaît les dix tropes ou cadres généraux, où Énésidème entassait, contre la connaissance sensible, des arguments qui allèrent sans cesse s ’
Weitere Kostenlose Bücher