Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
moins par sa nature que par sa fonction ; c ’ est en voyant à quoi il sert que l ’ on peut déterminer ce qu ’ il est. Aussi on comprend pourquoi l ’ intermédiaire se dissocie en une foule d ’ êtres plus ou moins distincts ; l ’ intermédiaire c ’ est le Logos ou Verbe, fils de Dieu, dans lequel il voit le modèle du monde et par lequel il le crée ; c ’ est aussi toute la série des puissances, la puissance bienfaisante ou créatrice, et la puissance qui punit et châtie ; c ’ est la sagesse avec laquelle il s ’ unit, d ’ une union mystérieuse, pour produire le monde ; ce sont même les anges et les démons ignés ou aériens, qui exécutent les ordres divins. Tous ces intermédiaires sont aussi ceux par lesquels l ’ âme remonte à Dieu ; ce retour, qui s ’ opère grâce au sentiment de la fragilité et du néant des choses sensibles (que Philon fait voir en utilisant les tropes d ’É nésidème), ne nous mène à Dieu que grâce aux intermédiaires ; en ce sens, le sage arrivé à l ’ état de pur esprit, le monde même en qui se reflète l ’ ordre divin sont pour nous des intermédiaires. En un mot, la méthode philonienne recueille et hiérarchise toutes les formes et tous les degrés possibles du culte qui relie l ’ âme à Dieu ; Abraham, sous le nom d ’ Abram, a été astrologue avant d ’ arriver à une piété plus pure.
Il y a dans la pensée de Philon quelque ambiguïté : on trouve en lui toute la piété d ’ un juif pour qui Dieu est en rapports constants, multiples et particuliers avec l ’ homme, le soutenant, le secourant, le punissant : c ’ est la piété sémite, dont nous avons vu le succès chez les Stoïciens. Mais il y a aussi l ’ idée d ’ un Dieu transcendant qui échappe à tout rapport avec l ’ homme, qui n ’ est atteint que par de purs esprits, p.440 entièrement détachés du monde et d ’ eux-mêmes, en état d ’ extase. Donc à la fois les deux formes de théologie et de transcendance que nous avons dégagées plus haut.
Dès maintenant, la grande affaire du philosophe néoplatonicien et néopythagoricien, c ’ est, délaissant complètement le premier point de vue, celui de la dévotion, des rapports de l ’ homme à Dieu, d ’ atteindre, en elle-même, en dehors de tout rapport avec le monde et l ’ homme, cette réalité transcendante ou, comme on dit, intelligible ; c ’ est sous un aspect, aspect bien étroit, il est vrai, du plus pur hellénisme. La théorie stoïcienne du Logos ou Verbe, du dieu assistant l ’ homme, qui se retrouvera chez les chrétiens, est presque absente chez les païens.
X. — LE NEO - PYTHAGORISME
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Le pythagorisme se réveille dans des conditions mal connues : au temps d ’ Auguste vivent les Sextius, dont Sénèque cite avec éloge les règles morales d ’ examen de conscience [631] ; une même inspiration de morale pratique et ascétique, se trouve dans le Tableau de Cébès , allégorie morale où domine, comme chez Philon, l’idée du repentir arrachant l ’ homme au plaisir ; de même esprit et très imprégnés de platonisme sont tous les fragments pythagoriciens que Stobée a conservés dans son Florilège : simples résumés de morale platonicienne, écrits en dialecte dorien, et dont la pensée principale est :« Celui qui suit les dieux est heureux, celui qui suit les choses mortelles est malheureux (103, 26). »
Sur ce fond de morale ascétique s ’ élève une arithmologie fantastique, destinée à déterminer la nature de la réalité transcendante par les nombres et leurs propriétés. L ’ un de ces Pythagoriciens, Modératus de Gadès, qui est de l ’ époque de p.441 Plutarque, nous raconte comment la théorie de la matière que Platon expose dans le Timée fut d ’ abord celle des Pythagoriciens, qui la transmirent à Platon. Ce qu ’ il y a de vrai dans ce fantaisiste récit, c ’ est que l ’ arithmologie métaphysique de Modératus n ’ est qu ’ une traduction numérique de la métaphysique platonicienne [632] : les diverses formes de réalité sont comme les divers degrés de détente de l ’ Un primitif ; auprès de ce premier Un, qui dépasse l ’ être ou l ’ essence, un second Un qui est l ’ê tre réel ou l ’ intelligible, c ’ est-à-dire les idées ; puis un troisième Un, l ’ âme, qui participe aux idées ; au-dessous de cette trinité d ’ Uns, la dyade ou matière, qui ne participe
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