Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
l ’ Intelligence est vision de l ’ Un, et par là même, elle est connaissance de soi et connaissance du monde intelligible ; il ne faut pas se figurer le monde intelligible à la façon d ’ un être inerte qui ne serait pas en même temps une pensée ; rappelons-nous que l ’ être est contemplation ; la conception la plus profonde que l ’ on puisse avoir du monde intelligible est celle d ’ une société d ’ intelligences ou, si l ’ on veut, d’esprits dont chacun, en se pensant, pense tous les autres et qui ne forment donc qu ’ une Intelligence ou Esprit unique.
Comme l ’ Un produit l ’ Intelligence, l ’ Intelligence produit une troisième hypostase qui est l ’ Ame. La théorie plotinienne de l ’âm e est encore plus complexe que sa théorie de p.458 l ’ Intelligence. Pour bien en saisir la portée, il faut opposer, comme le fait sans cesse Plotin, ce qu ’ Aristote pensait de l ’ âme à ce qu ’ en pensaient, non sans une certaine concordance, Platoniciens et Stoïciens ; nous aurons ici un des motifs de dissentiment qui ont paru les plus graves à cette époque entre Aristote et Platon. Aristote a pour ainsi dire rayé l ’ âme de son image de l ’ univers ; les moteurs des cieux sont des intelligences ; l ’ âme n ’ apparaît que dans les corps vivants sublunaires, à titre de forme du corps, notion tout intellectuelle d ’ un physiologiste qui cherche le principe des fonctions corporelles ; l ’ âme, comme siège de la destinée, a disparu. Au contraire, dans le Phèdre , le Timée et les Lois, comme chez les Stoïciens, il y a une âme du monde, rectrice du monde sensible, à laquelle les âmes individuelles, âmes des astres et âmes des hommes, sont consubstantielles et dont elles ne sont que des fragments. Ce n ’ est pas là une différence de terminologie, mais une opposition profonde dans la conception de l ’ univers et de la destinée ; de l ’ univers d ’ abord qui est un être vivant et dans lequel, par conséquent, les mouvements généraux (mouvements circulaires des astres) sont dus non pas à la propriété d ’ une quintessence dont la nature est de se mouvoir circulairement, mais à l ’ influence d ’ une âme qui domine l ’ élément igné qui compose le ciel et lui fait prendre, contrairement à sa nature, le mouvement circulaire, ce mouvement de retour sur soi, qui est une imitation du sien propre [655] ; il n ’ est rien qui fasse plus horreur au Platonicien que la quintessence aristotélicienne ; partisan de l ’ unité substantielle du cosmos et de la sympathie de ses parties, il y voit non sans raison la négation de cette thèse. Opposition aussi dans la conception de la destinée puisque les âmes individuelles ont, dans le détail du gouvernement des choses, le même rôle que l ’ âme du monde a dans l ’ ensemble ; leur destinée fait donc partie d ’ un plan d ’ ensemble p.459 et Plotin développe avec prédilection la vieille image des diatribes, le monde, théâtre où la providence assigne à chacun son rôle [656] .
Sans songer à cette vision du monde, à cette fonction cosmique des âmes, on ne saurait comprendre la nature de la troisième hypostase. Car l ’ âme n ’ est que le monde intelligible, mais plus divisé, plus détendu, pas encore étendu pourtant, ou du moins pas encore étendu d ’ une étendue matérielle, puisque l ’ âme a pour propriété d ’ être tout entière à la fois dans toutes les parties du corps vivant qu ’ elle anime [657] , disposée pourtant à répartir son influence dans le lieu et dessinant en elle, comme l ’â me du monde du Timée , les divisions du monde. L ’ âme est en un mot l ’ intermédiaire entre le monde intelligible et le monde sensible, touchant au premier parce que, procédant de lui, elle se retourne vers lui pour le contempler éternellement, touchant au second, parce qu ’ elle l ’ ordonne et l ’ organise. Encore ne sont-ce là deux fonctions diverses qu ’ en apparence : en réalité, elle n ’ organise, nous le verrons, que parce qu ’ elle contemple, par une influence qui émane d ’ elle sans qu ’ elle le veuille ; comme si les figures auxquelles pense un géomètre se dessinaient d ’ elles-mêmes [658] ; elle n ’ a pas une fonction active et providentielle à côté de sa fonction contemplative ; purement contemplante, restant en haut, elle agit.
A cette triade d ’ hypostases s ’
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