Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
un terme, les intelligences intelligibles, correspondant à la deuxième série et qui est l’objet des intelligences intelligentes. Dans le plotinisme, toutes les avenues étaient comme ouvertes à cette « voyageuse en pays métaphysique » [683] qu’était l’âme ; rien chez Proclus ne correspond à ce moi mobile et spirituel qui se déplace à tous les niveaux entre la matière et l’un. La notion de vie spirituelle a presque disparu. Proclus cesse d’identifier le mal avec la matière. « Le mal n’est ni dans la forme que veut dominer la matière, ni dans la matière qui désire l’ordre ; p.481 il est dans le manque de commune mesure (α̉συμμετρία) de la matière à la forme [684]. Il n’existe donc pas comme hypostase ; mais comme « parhypostase », comme être dérivé. L’on ne peut être plus infidèle à Plotin. Nul événement véritable dans cet univers, qui n’admet point la création, mais reste éternellement lui-même. « Dans quelle intention, dit Proclus s’adressant aux chrétiens, après une paresse d’une infinie durée, Dieu viendra-t-il à créer ? Parce qu’il pense que c’est mieux ? Mais auparavant ou il l’ignorait, ou il le savait ; dire qu’il l’ignorait, c’est absurde ; et s’il le savait, pourquoi n’a-t-il pas commencé avant [685]. »
VI. — DAMASCIUS
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Avec Damascius, personnage non moins dévot que Proclus, comme on le voit d’après la Vie d’Isidore qu’il a écrite, nous atteignons les derniers cercles intellectuels païens, ceux qui se réunissaient à Alexandrie pour parler du vieux temps et sur lesquels un papyrus a dernièrement donné des détails si suggestifs [686]. Le très long traité Des Principes , qui nous a été conservé, est un commentaire de la dernière partie du Parménide ; il prend la plupart du temps le contre-pied de celui de Proclus. Toute la hiérarchie figée des réalités, telle que l’avait conçue l’esprit presque juridique de Proclus, est désorganisée pour laisser place à une vie spirituelle et mystique intense qui rétablit partout les rapports, les avenues qui mènent aux réalités supérieures. Détruire les catégories fixées par Proclus, montrer qu’elles ne trouvent nul point d’attache dans le Parménide, telle est sa grande préoccupation. Et d’abord il ne faut pas prendre pour premier principe l’Un transcendant, avec ses fonctions définies d’unification du réel. Au-dessus de l’Un, il y p.482 a l’Ineffable, « inaccessible à tous, sans coordination, séparé à ce point qu’il ne possède plus véritablement la séparation ; car ce qui est séparé est séparé de quelque chose et garde un rapport avec ce dont il est séparé [687] ». Il faut donc mettre le Principe en dehors et au-dessus de toute hiérarchie et se garder d’admettre en lui, même à titre de modèle, nul ordre, nulle hiérarchie. « Est-ce que, pourtant, quelque chose vient de lui aux choses d’ici ? Comment non, si tout, de quelque façon, vient de lui (17, 13) ? » Ce quelque chose, c’est ce que toute réalité contient elle-même d’ineffable, d’impénétrable : plus nous montons, plus nous trouvons d’ineffable. « L’Un est plus ineffable que l’Être, l’Être que la Vie, la Vie que l’Intelligence. » Pourtant nous sommes sur la mauvaise pente, lorsque nous essayons ainsi de hiérarchiser les ineffables ; nous sommes sur le point de rétablir une nouvelle hiérarchie, en trouvant un Un ineffable, d’où dépend une réalité ineffable ; aussi faudra-t-il finalement refuser de dire qu’il communique rien de lui aux réalités qui viennent de lui. L’Ineffable, c’est ce que pose la première hypothèse du Parménide, en affirmant qu’il n’est même pas un, suivant l’effort de l’âme qui le pose un, puis qui en supprime l’Un, à cause de sa supériorité qui n’offre aucune prise.
On voit la manière de Damascius, cet effort vers l’intuition qu’il essaye de faire aboutir en limitant ses affirmations les unes par les autres, par une manière de dialectique vivante bien plus semblable à celle de Plotin qu’à celle de Proclus. L’Ineffable, c’est une sorte d’initiative absolue, comme le Premier de Plotin, dans son traité Sur la volonté de l’Un . Par contre l’Un, étant cause, est défini par une fonction et une relation.
D’une manière générale, Damascius est plein de méfiance envers cette manière mécanique de
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