Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
déterminer les principes, qui p.483 triomphe avec Jamblique et Proclus ; elle a le grand tort, à ses yeux, d’employer à l’égard des principes les notions qui n’ont de sens que dans les dérivés. Ainsi, voulant montrer comment de l’Un radical dérive la totalité une qui est comme l’ensemble uni des réalités intelligibles, on fait de cette totalité unie la synthèse de deux principes opposés qu’on appelle l’Un et la Dyade, ou bien la Limite et l’Illimité, ou encore le Père et la Puissance. En vérité, on n’atteint pas ainsi directement la réalité, mais on procède par image ; habitués à expliquer sans difficulté par des synthèses de ce genre les mixtes que contemplent notre intelligence et notre âme (par exemple un accord par un rapport fixe déterminant la dyade indéfini du grave et de l’aigu), nous transportons sans plus des principes de ce genre à la réalité suprême (§ 45). La preuve qu’il n’y a là qu’analogie incertaine, c’est la diversité de noms dont on se sert pour désigner chacun des deux principes opposés, Monade, Limite, Père, Existence pour le premier, Dyade, Puissance, Chaos pour le second (§ 56). Séparation et opposition, procession et retour n’apparaissent que dans des réalités dérivées de celle dont on veut rendre compte par l’union de deux principes distincts. La réalité qu’on veut expliquer, c’est l’Union ou l’Uni, c’est-à-dire celle en laquelle toutes choses sont encore à l’état indivis ; comment donc la faire naître de la fusion de deux réalités distinguées ? Des principes qui existent avant l’Uni, donc avant que rien ne soit à l’état de distinction, ne sauraient être distincts.
D’où, chez Damascius, une conception nouvelle du ternaire primitif où les trois moments, station, procession et retour, sont remplacés par trois termes dont la triplicité n’altère pas l’unité ; des trois termes, le premier est Un-Tout, un par lui-même et tout en tant qu’il produit le second ; le second est Tout-Un, tout par lui-même, et un par l’effet du premier ; le troisième tient du premier, l’un, et du second, le tout ; chacun des termes est comme un aspect et une face de la même réalité.
En critiquant ainsi la méthode de Proclus, c’est le p.484 néoplatonisme lui-même que Damascius est bien près d’abandonner ; il faudrait analyser le détail de son livre immense pour montrer comment, presque à chaque explication que Proclus donne du Parménide , il oppose la sienne, inspirée d’un esprit différent ; il rejette par exemple des explications qui concluraient des propriétés du monde créé à celles de son exemplaire [688] ; et il insiste sur ce fait que le monde sensible n’est pas une image de toute la réalité suprasensible en bloc, mais seulement d’une petite portion de cette réalité, du monde des Idées [689]. Ailleurs il reconnaît. et il indique avec force que la procession et la conversion ne peuvent se dire proprement que des natures intellectuelles (Plotin avait-il dit autre chose ?) et ne peuvent servir de moyen général pour expliquer toute réalité.
L’enseignement de Damascius qui, par certains aspects, est d’une profondeur et d’une nouveauté admirables, bien que non sans confusion ni bavardage, resta infécond par le malheur des temps. Lorsque Justinien ordonna, en 529, la fermeture des écoles philosophiques d’Athènes, l’Université d’Athènes, si florissante au temps du sophiste Libanius, l’ami de Julien et d’Himérius, était tombée faute d’élèves et peut-être de professeurs ; Damascius, dans la Vie d’Isidore (221-227), nous dit quelle était la grande infériorité de l’enseignement philosophique à Athènes à son époque, avec le diadoque Hégias, qui préféra finalement les pratiques pieuses à la philosophie. Alexandrie n’était pas un séjour sûr pour les philosophes, comme le prouvent la persécution que leur fit subir l’évêque Athanase et le meurtre de la néoplatonicienne Hypatie, assassinée en 415 par la populace ; la ville était d’ailleurs bien déchue de sa splendeur. La nouvelle capitale de l’empire était peu favorable aux études philosophiques : le néoplatonisme meurt avec toute la philosophie et toute la culture grecques ; le VI e et le VII e siècle sont des moments de grand silence.
Bibliographie
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CHAPITRE VIII
HELLÉNISME ET CHRISTIANISME
AUX PREMIERS SIÈCLES DE
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