Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
confiance et la défiance d’un Rhaban Maur ; la philosophie indispensable comme outil logique, et aussi tout illuminée des rayons de la vérité chez un Platon, est dangereuse parce qu’elle nous met sur la pente de l’hérésie.
C’est une préoccupation pédagogique qui domine l’œuvre d’Alcuin (730-804), que Charlemagne appela d’Angleterre en 781, et dont le nom symbolise presque cette renaissance intellectuelle que voulut le roi des Francs ; il réforme le clergé de l’empire franc, tombé à un degré de déchéance intellectuelle inouïe ; il éduque les laïques pour lesquels fut instituée l’école palatine. Ses manuels d’enseignement, grammaire, rhétorique, dialectique, traité sur l’orthographe, n’ajoutent rien aux compilations précédentes. Comme on le voit par sa correspondance, Alcuin a une grande autorité en ce temps, et il soutient l’utilité des études profanes pour la théologie. On le voit en son traité De Fide sanctae et individuae trinitatis s’appuyer sur saint p.540 Augustin pour affirmer que « les règles de la dialectique sont nécessaires et que les questions les plus profondes sur la sainte Trinité ne peuvent être élucidées que grâce à la subtilité des catégories. »
V. — JEAN SCOT ERIGÉNE
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Mais l’œuvre de Jean Scot Érigène est le meilleur témoin des préoccupations philosophiques qui animent alors les théologiens. Jean est issu de cette église d’Irlande, qui avait manifesté plusieurs fois son indépendance à l’égard de Rome ; Bède, en son Histoire ecclésiastique , cite la lettre où le pape Jean lui reproche non seulement des écarts de discipline, mais des écarts de doctrine ; elle revenait à l’hérésie pélagienne. On y lisait d’ailleurs les poètes classiques et l’on y savait encore le grec [755]. Jean, qui naquit en Irlande vers le début de IX e siècle, fut un de ces « Scots » qui allaient enseigner sur le continent. Accueilli à la cour de Charles le Chauve, vers 840, il fut capable de traduire en latin les œuvres de Denys l’Aréopagite et de son commentateur Maxime le Confesseur ; ces œuvres déjà envoyées en France par le pape à l’époque du roi Pépin, avaient été de nouveau transmises à Louis le Débonnaire, en 827, par les envoyés de l’empereur Michel le Bègue. La traduction de Jean n’est d’ailleurs pas une traduction véritable au sens que nous donnons à ce terme ; c’est, comme le seront presque toutes les traductions du Moyen âge, un mot-à-mot d’une fidélité désolante, qui fait croire que l’auteur, comme un médiocre écolier, ne cherchait le sens de la phrase qu’après avoir traduit séparément chaque mot ; Denys ne fut plus traduit de nouveau avant la fin du XII e siècle.
Les œuvres de Denys furent une des sources importantes de la conception néoplatonicienne des choses que nous trouvons p.541 chez Jean Scot : ce ne fut pas la seule ; et ce qui suffit à l’établir, c’est que, dans son traité Sur la prédestination , écrit en 851, où il ne cite pas encore les œuvres de Denys, son néoplatonisme apparaît nettement. Jean indique assez complètement ses autorités pour que l’on puisse déterminer ces sources : dans le De Divisione Naturae , outre Denys et Maxime, c’est avant tout saint Augustin, puis Grégoire de Nysse, plus rarement Basile de Césarée et Grégoire de Naziance et Épiphane, très rarement saint Ambroise, Origène et saint Jérôme. A côté des Pères, il a souvent recours aux philosophes ou sages de ce monde : les traités logiques de Boèce, par qui il connaît Cicéron et Aristote, le Timée de Platon, parfois Pythagore, plus souvent Pline l’Ancien, et aussi les poètes Ovide et Virgile.
Jean n’est pas, comme ses prédécesseurs, un simple compilateur ; il a une pensée assez ferme et indépendante pour utiliser ses sources sans leur être asservi. Son système n’est point un mélange, à dose différente, de Denys et d’Augustin ; c’est une réponse réfléchie à une question redoutable qui va dominer toute la pensée médiévale. L’image chrétienne et l’image néoplatonicienne de l’univers ont en commun une sorte de rythme : l’une et l’autre sont des images théocentriques, qui nous décrivent le double mouvement des choses, la manière dont les choses s’écartent de leur premier principe, puis leur retour au principe. Seulement dans l’image chrétienne, la suite de ces moments est
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