Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
Moyen Age expiré. D’abord la peinture de la hiérarchie des réalités : Dieu, les anges et l’homme ; puis le drame proprement dit : le péché originel, la rédemption et le retour à Dieu des élus : double thème qui comporte bien des variations, mais dont les variations limites, en quelque sorte, sont un platonisme à la manière de Scot Érigène qui fait du mouvement de descente et de retour vers Dieu une nécessité éternelle, et l’orthodoxie d’un Lombard ou d’un saint Thomas, qui mettent au début de chaque acte du drame une initiative tout à fait libre et contingente.
II. — L’ÉCOLE DE CHARTRES AU XIIe SIÈCLE :
BERNARD DE CHARTRES
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Une espèce de théologie philosophique se développe par contre dans l’école de Chartres. Rien de plus émouvant que les efforts faits à cette époque dans le milieu chartrain pour étendre l’horizon intellectuel au delà de Boèce, d’Isidore et des Pères. Parmi les initiateurs, il faut d’abord citer Constantin l’Africain et Adélard de Bath, témoins précieux des relations qui commencent à s’établir entre l’Orient et l’Occident. Dès la fin du XI e siècle, Constantin, né à Carthage, voyage dans tout l’Orient ; il traduit, outre des livres médicaux des Arabes et des Juifs, les Aphorismes d’Hippocrate avec le Commentaire de Galien, et deux traités de Galien, C’est dans ces p.572 traductions que l’on puise, comme nous le verrons bientôt, la connaissance de la physique corpusculaire de Démocrite.
Adélard de Bath qui, au début du XII e siècle, voyage en Grèce et en pays arabe, en rapporte surtout des traductions d’ouvrages mathématiques. Il traduit de l’arabe les Éléments d’Euclide, et fait connaître, outre des ouvrages astronomiques, l’arithmétique d’Alchwarismi. Voilà qui augmentait singulièrement le quadrivium. En même temps que mathématicien, Adélard est platonicien de tendance ; et son platonisme vient non pas de saint Augustin, mais directement du Timée , de Chalcidius et de Macrobe. Il a écrit son petit traité De Eodem et Diverso pour justifier la philosophie ; l’on y voit, selon le poncif de Boèce et de Marcianus Capella, Philosophia, accompagnée des sept arts, discuter contre Philocalia. Or, la théorie de la connaissance qui y est exposée suppose tout le mythe platonicien de la psyché : l’intelligence, à l’état de pureté, connaît les choses et leurs causes ; « dans la prison du corps », cette connaissance est en partie perdue ; « alors elle cherche ce qu’elle a perdu et, sa mémoire défaillant, elle recourt à l’opinion » ; « le tumulte des sens » (cf. Timée , 44 a) qui nous laisse ignorer « les choses très petites et les très grandes » empêche la connaissance rationnelle (les minima sont probablement les atomes, dont Adélard acceptait l’existence). Il s’ensuit qu’Aristote a raison, quand il dit que nous ne pouvons actuellement connaître sans nous aider de l’imagination ; mais Platon a raison aussi, en affirmant que la connaissance parfaite est la connaissance des formes archétypes des choses, telles qu’elles sont dans l’entendement divin, avant de passer dans les corps ; il y a seulement marche inverse : Platon part des principes, Aristote des choses sensibles et composées.
De là sa solution du problème des universaux : la distinction entre genre, espèce et individu, par exemple entre animal , homme et Socrate , n’a de signification que dans les choses sensibles ; ces mots désignent la même essence sous un rapport p.573 différent. « En considérant les espèces, on ne supprime pas les formes individuelles, mais on les oublie parce qu’elles ne sont pas posées par le nom de l’espèce. » Il en est de même pour le genre par rapport à l’espèce. Mais il faut se garder de confondre ces universaux, dénommés par le langage, avec les formes archétypes telles qu’elles sont dans l’intelligence divine ; les universaux ne sont, selon Aristote, que les choses sensibles mêmes, quoique considérées avec plus de pénétration ; les formes ne sont plus ni les genres ni les espèces qui ne peuvent être conçues que dans leur rapport aux individus ; mais « elles sont conçues et existent en dehors des choses sensibles, dans l’esprit divin ». Et il ne s’agit pas là d’une connaissance assimilable à la vision béatifique, mais bien d’une connaissance humaine et normale, puisque la
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