Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
vivantes en Perse et auxquelles se mélange intimement la pensée de l ’ Inde (mysticisme des Soufis).
I. — LES THÉOLOGIENS MUSULMANS
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Le Coran n ’ est donc pas leurs inspirateur direct. Il n ’ en a pas moins eu, à sa manière, une influence considérable. Le Coran n ’ a engendré, on le sait, aucune théologie dogmatique analogue à celle qui dominait l ’ Europe. Il y en a plusieurs raisons : d ’ abord la plupart des controverses théologiques naissaient de questions que la doctrine du Coran écartait implicitement : les controverses trinitaire et christologique, pas plus que celle de la grâce n ’ ont aucun sens dans une doctrine qui admet la radicale unité de Dieu et ignore rien de pareil au sacrement ; Dieu et son prophète Mahomet, qui a consommé l ’ œuvre des deux prophètes Abraham et Jésus, ainsi se résume la religion de l ’ Islam : sommaire et nette comme un paysage du désert et n ’ ayant pas le goût hellénique pour les spéculations compliquées sur la nature de la réalité divine. D ’ autre part, il n ’ y a dans l ’ Islam aucun pouvoir spirituel chargé de dire le dogme ; le Coran ne se surcharge d ’ aucune addition qui ait force contraignante. L ’ Islam connaît les prophètes, hommes inspirés de Dieu, mais il n ’ en est aucun qui puisse ajouter à la lettre du Coran .
Le livre sacré, bien plus pratique et juridique que théorique, ne renferme qu ’ un seul dogme, dont Mahomet emprunta l ’ idée p.611 au monothéisme juif : celui d ’ un Dieu unique, absolument simple de nature, et dont la volonté est toute puissante et imprévisible. Ce dogme implique une représentation de l ’ univers, aussi contraire que possible à celle du néoplatonisme régnant dans les pays conquis par les Arabes : d ’ un côté, c ’ est l ’ arbitraire divin le plus complet, de l ’ autre, c ’ est l ’ idée de cet ordre rationnel de développement que la pensée grecque a introduit dans le monde. C ’ est cette opposition qui fut le seul thème de la théologie musulmane proprement dite, celle des Motekallemin et des Motazilites, qui s ’ efforcèrent de dresser, contre leurs adversaires, une image cohérente de l ’ univers selon le Coran.
Toute la réflexion se concentre autour de deux questions purement théologiques : négation de la multiplicité en Dieu, négation de tout pouvoir autre que celui de Dieu. Sur le premier point, on se demandait comment, si Dieu était un, on pouvait dire qu ’ il était bon, savant, juste, etc. Les uns vont jusqu ’ à nier de Dieu toutes ces propriétés : les autres, sans les nier complètement, les considèrent comme des modes ou manières d ’ être sous lesquels apparaît l ’ essence divine, mais qui ne lui ajoutent rien ; mais ce ne sont point des qualités, et « celui qui affirme une qualité éternelle à côté de Dieu affirme deux dieux » . D ’ autres, enfin, les affirment comme des qualités éternelles subsistant par l ’ essence de Dieu.
A propos du second point, les théologiens craignent de voir la puissance de Dieu limitée d ’ une part par le libre arbitre, d ’ autre part par un déterminisme qui accepterait l ’ idée de nécessité naturelle. La négation du libre arbitre donne naissance, par réaction, au début du VII I e siècle, à l ’ école des motazilites (les séparés), qui, sous l ’ impulsion de Wasil, fils d ’ Ata, accordent à l ’ homme la liberté pour sauvegarder la bonté de Dieu ; il serait incapable de décréter l ’ action mauvaise, alors qu ’ il ordonne le bien ; c ’ est dans le même esprit conciliant que Wazil, le fondateur de la secte, admettait, entre le croyant juste et l ’ impie, l ’ état intermédiaire de croyant pécheur, idée qui rappelle la p.612 solution modérée que les moyens stoïciens donnaient au problème du progrès moral.
Quant au déterminisme naturel, il faut se rendre compte qu ’ il est indissolublement lié par la tradition grecque à l ’ image d ’ un monde éternel à évolution cyclique et d ’ un dieu agissant à la manière d ’ une force naturelle. Par contre, la thèse de la création amène avec elle un indéterminisme radical dans la production des choses non seulement au premier moment mais aussi dans la suite des temps. De là l ’ atomisme que soutient l ’ école d ’ Al Ascharî (876-935) : la continuité de la substance est impossible ; car il faudrait admettre que
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