Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
Franciscains et Dominicains, et donné des statuts à l ’ Université de Paris : trois actes inspirés du même esprit, du désir de fortifier l ’ unité chrétienne ; il trouvait dans l ’ inquisition un moyen d ’ expurger les hérésies, dans les ordres mendiants des hommes qui, détachés de tout intérêt temporel, de toute attache à leur pays, se mettaient au service exclusif de la pensée chrétienne, dans l ’ Université, qui réunit sous le nom de faculté des arts, faculté de droit et faculté de théologie, des écoles déjà florissantes mais dispersées, un moyen de systématiser toute la vie intellectuelle de l ’ époque autour de l ’ enseignement de la théologie.
Car seul le pape a la haute main sur l ’ enseignement de l ’ Université, à laquelle Philippe-Auguste est seulement prié d ’ accorder des privilèges temporels. Cet enseignement, il prétend l ’ organiser de manière à parer au danger qu ’ était devenu pour la théologie le développement outré de la dialectique ; la dialectique doit rester un organon, et il faut empêcher les « docteurs modernes des arts libéraux » de s ’ occuper de sujets théologiques ; c ’ est ce que dit Innocent III en 1219 et ce que répète Grégoire IX en 1228 : « L ’ intelligence théologique doit exercer son pouvoir sur chaque faculté comme l ’ esprit sur la chair, et la diriger dans la voie droite pour qu ’ elle ne s ’ égare pas. » Et il s ’ agit d ’ une théologie qui doit être exposée uniquement « selon les traditions éprouvées des saints » et ne pas se servir « d ’ armes charnelles » ; en 1231, il donne le mot d ’ ordre : « Que les maîtres de théologie ne fassent pas ostentation de philosophie » . Dans ces conditions, en effet, la philosophie est réduite à l ’ art de discuter et de tirer des conséquences, en partant des prémisses posées par l ’ autorité divine. De là la forme littéraire des p.635 écrits de ce temps, qui dérive de la méthode employée par Abélard dans le Sic et non , puis par les sententiaires du XI I e siècle ; sur chaque sujet, on argumente à coup d ’ autorités ou de raisons déduites de l ’ autorité ; et après avoir indiqué le pour et le contre, on donne la solution ; on en vient à ignorer ou à éviter tout exposé d ’ ensemble, toute vue synthétique qui, liant systématiquement les diverses affirmations du théologien, donnerait à la doctrine chrétienne une allure trop rationnelle. Il y a sans doute un ordre inhérent à l ’ exposé des vérités de la doctrine chrétienne : Dieu, la création, la chute, la rédemption et le salut, c ’ est l ’ ordre traditionnel, celui qu ’ a suivi Pierre le Lombard et qui est sous-jacent aux Sommes de saint Thomas d ’ Aquin ; mais il faut remarquer que c ’ est un ordre des vérités révélées où chacune ne dépend pas logiquement de la précédente ; création, chute, rédemption, ce sont des actes libres, que l ’ on peut connaître par leurs effets, mais non déduire de principes nécessaires ; il reste donc à étudier séparément chacun des articles de foi et des affirmations qu ’ il implique ; la raison sert toujours à descendre aux conséquences, mais non pas à remonter aux principes et à systématiser.
Mais à l ’ intérieur de ces cadres si fixes et si rigides, la pensée a-t-elle cette catholicité que les papes rêvaient de lui imposer ? Nullement, et malgré la volonté des papes, le XII I e siècle nous donne le spectacle de conflits aigus qui interdisent, même pour cette époque, de parler d ’ une philosophie scolastique unique ; ils ne s ’ apaiseront que lorsque le Moyen âge aura cessé de vivre. Ces conflits ont précisément leur source dans la prétention de réduire tout le haut enseignement intellectuel à la théologie et aux disciplines qui y préparent ; la philosophie purement humaine réclame une place pour elle, et on ne sait laquelle lui donner ; la mettra-t-on à l ’ intérieur de la théologie ? Quelle peine on aura alors à maintenir l ’ unité d ’ une doctrine qui use à la fois de deux méthodes aussi divergentes que l ’ autorité et la méthode rationnelle ! On en verra bientôt p.636 d ’ illustres exemples. L ’ expulse-t-on au contraire de la théologie ? Elle revendique alors son indépendance. Dans les deux cas, l ’ unité spirituelle que l ’ on voulait établir est
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