Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
théologie comme étude du moteur immobile est liée intimement à la physique, comme étude des corps mobiles, où l ’ étude de l ’ âme comme forme du corps organisé, est une partie de la physique : image de l ’ univers antithétique de l ’ image platonico-augustinienne qui considérait au contraire Dieu et l ’ âme dans leur vie propre et toute surnaturelle.
Même inspiration dans le De immortalitate animae , où Dominique, critiquant et rejetant formellement les preuves platoniciennes de l ’ immortalité de l ’ âme humaine parce qu ’ elles sont trop générales et parce qu ’ elles porteraient aussi bien sur l ’ âme des brutes, n ’ accepte que les preuves fondées sur les prémisses aristotéliciennes qui contiennent non pas des principes généraux, mais les caractères propres du sujet étudié : mais le principal de ces preuves, c ’ est, comme on le sait, l ’ indépendance de l ’ intellect par rapport au corps, qui amène à imaginer une immortalité impersonnelle, bien différente de la continuation de la destinée individuelle de l ’ âme.
IV. — GUILLAUME D ’ AUVERGNE
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Une œu vre comme celle de Guillaume d ’ Auvergne, qui professait la théologie à Paris en 1228, témoigne de l ’ espèce de malaise produit chez un augustinien traditionnel par l ’ introduction de ces nouvelles idées.
Un des efforts de la philosophie arabe avait été de distinguer, p.641 sans sortir des cadres de la philosophie d ’ Aristote, le premier principe des êtres dérivés de lui ou créés par lui : entreprise difficile, si l ’ on se souvient de la métaphysique d ’ Aristote : cette métaphysique en effet, par ses spéculations sur les mobiles et les moteurs, aboutissait à poser une multiplicité de moteurs immobiles, intelligences motrices des cieux, âmes des animaux, dont on ne voyait pas clairement comment ils dépendaient d ’ un principe unique. Cela s ’ accordait fort peu avec le monothéisme de toutes les religions issues du judaïsme. On se rappelle comment Al Farabi, puis Avicenne se tirèrent de ce mauvais pas : c ’ est par un caractère intrinsèque, la nécessité, que le principe suprême se distingue des moteurs qui sont dérivés de lui : l ’ être nécessaire a de soi tout ce qu ’ il est ; il est simple et unique. Les moteurs dérivés sont au contraire des êtres possibles en eux-mêmes qui n ’ existent que sous l ’ influence de l ’ être nécessaire qui les fait passer à l ’ acte.
Aristote ne pouvait devenir monothéiste si l ’ on n ’ ajoutait à sa doctrine quelque distinction de ce genre : et Guillaume d ’ Auvergne l ’ introduit en effet dans la scolastique non sans la rattacher aussi à Boèce : c ’ est la célèbre distinction de l ’ essence et de l ’ existence :« Dieu est l ’ être ( ens ) dont l ’ essence est d ’ être ( esse ) ; c ’ est-à-dire que lui-même et l ’ être que nous lui attribuons quand nous disons : il est, sont une seule et même chose. » Au contraire la créature est comme faite de l ’ union de deux choses, ce qu ’ elle est ( quod est ) ou son essence, et ce par quoi elle est ( quo est ) qui est nécessairement distinct de son essence, puisque cette essence ne peut exister par elle-même.
Toutefois cette distinction, qui servait à établir le monothéisme, introduisait, telle qu ’ elle était présentée par Avicenne, un nouveau danger ; en effet, si le rôle du principe suprême est de faire passer à l ’ acte des êtres possibles, il faut bien qu ’ ils existent comme possibles antérieurement à cette action ; le possible est alors une matière indépendante de l ’ être suprême : c ’ est seulement ainsi qu ’ Avicenne peut expliquer la p.642 multiplicité dans les créatures. Tout au contraire, pour Guillaume, le possible n ’ est pas une entité distincte de Dieu, mais seulement le pouvoir que Dieu a de lui donner l ’ être [828] .
A cette nuance d ’ interprétation se rattache la critique qu ’ il adressait aux « péripatéticiens » qui soutenaient l ’ éternité du monde, en s ’ appuyant sur ce principe que nous avons rencontré si souvent : une essence immuable ne peut commencer à produire à un certain moment. Guillaume répond qu ’ il ne pourrait alors y avoir aucun changement dans le monde qui ne se réduise à ce qui précède, c ’ est-à-dire aucun véritable changement, le changement étant la
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