Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
indistincte qui emprunte aux images sensibles toutes les distinctions des genres et des espèces [836] .
Ainsi l ’ on a partout l ’ impression de profondes cassures dans la continuité universelle : Albert refuse même d ’ admettre tout ce qui, dans la théorie de la connaissance intellectuelle chez les péripatéticiens arabes, aurait rapproché l ’ homme de Dieu ; l ’ intellect agent qui, chez Averroès, était l ’ intelligence motrice de la dixième sphère contenant actuellement en elle tous les p.657 intelligibles, qui, par conséquent, était commun à tous les hommes, est remplacé par un intellect agent qui est une partie de l ’ âme humaine ; il y a donc autant d ’ intellects agents qu ’ il y a d ’ âmes ; il est d ’ ailleurs vide de formes et n ’ a d ’ autre fonction que d ’ abstraire les formes des images sensibles données d ’ ailleurs. Si une intelligence séparée ou angélique influe sur nous, le résultat de cette influence est une révélation, qui est entièrement distincte de la connaissance naturelle [837] .
Dans ces conditions, on comprend comment l ’ étude de la nature pour elle-même a pu intéresser Albert, comment, grâce à ce principe que « l ’ expérience seule donne la certitude » en des questions de zoologie, de botanique ou de minéralogie, ces sciences commencent à devenir chez lui autre chose que des bestiaires fantastiques ou des symboliques traditionnelles.
Les dominicains allemands qui propagèrent à Cologne les doctrines d ’ Albert, Hugues de Strasbourg et Ulrich de Strasbourg, sont encore fort mal connus : il semble pourtant que le second d ’ entre eux se rapproche bien plus que son maître du péripatétisme arabe et qu ’ il est au début du mouvement mystique qui aboutira à Maître Eckart.
VIII. — SAINT THOMAS D ’ AQUIN
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Mais c ’ est surtout chez saint Thomas d ’ Aquin, le « docteur angélique » , que s ’ affirme et se précise le mouvement d ’ idées inauguré par Albert. Né en 1227 au château de Rocca-Secca, de la famille des comtes d ’ Aquin, devenu dominicain dès 1243, il est élève d ’ Albert le Grand à Paris de 1243 à 1248, puis à Cologne ; de 1252 à 1259, nouveau séjour à l ’ Université de Paris, où il devient maître en 1257 ; de 1259 à 1268, il habite l ’ Italie, et il entre en relation avec le dominicain helléniste p.658 Guillaume de Moerbeke, par qui il a des traductions d ’ Aristote faites directement sur le texte grec ; de 1268 à 1272, il enseigne à Paris, où il a à se défendre à la fois contre les ennemis des réguliers, contre Siger de Brabant et les averroïstes de la Faculté des Arts, contre les augustiniens qui s ’ efforcent de le faire condamner ; il quitte Paris pour Naples en 1272 et meurt en 1274 en se rendant au concile de Lyon.
Dans son second séjour à Paris (1252-1259), il écrit, outre son Commentaire des sentences de Pierre Lombard [838] , les trois traités de Ente et Essentia , de Veritate , Contra impugnantes Dei cultum et religionem (au moment des attaques de Guillaume de Saint-Amour contre les ordres). Du séjour en Italie et des relations avec Guillaume de Moerbeke (1259-1268) datent ses commentaires : commentaires d ’ Aristote ( De interpretatione , Analytiques postérieurs , Physique , Métaphysique (12 livres), Éthique , De l’âme , Météores , De coelo I à III, De generatione , Politique I à IV), commentaire du livre Des Causes (dont il découvre l ’ identité avec les Éléments de théologie de Proclus, que traduit Guillaume de Moerbeke), commentaires des traités théologiques de Boèce, des Noms Divins de l ’ Aréopagite. Dans la même période, il écrit la Summa contra gentiles (1259-1260), et il commence en 1265 la Summa theologica qu ’ il continue, sans l ’ achever, jusqu ’ en 1273. En son dernier séjour à Paris, il écrit des œuvres polémiques, le De unitate intellectus contra Averroistas , contre Siger de Brabant, le De Perfectione vitae spiritualis et le Contra retrahentes a religioso ingressu , contre les ennemis des ordres mendiants : le De aeternitate mundi contra murmurantes , contre les ennemis du péripatétisme. Enfin il écrivit en diverses périodes et sur divers sujets des Quaestiones disputatae et des Quaestiones quodlibetales , qui rédigent les discussions effectives qu ’ il soutenait oralement sur les sujets qu ’ on lui proposait à des époques
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