Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
celle qu ’ il y a entre Dieu et les Idées ; le type de cette analogie, c ’ est l ’ image de la Trinité que saint Augustin retrouvait dans les rapports entre les trois facultés de l ’ âme humaine ; mais cette analogie a elle-même des degrés, depuis les ombres ou vestiges des attributs divins que l ’ observateur trouve dans les choses de la nature jusqu ’ à l ’ image véritable qui, dans l ’ âme humaine, prend directement conscience de sa propre ressemblance à Dieu. Par l ’ effet de la grâce surnaturelle, cette image analogique se transformera chez les élus en une similitude véritable, qui est la déification de l ’ âme.
C ’ est moins en elle-même que par rapport à cet état final que saint Bonaventure analyse la connaissance intellectuelle p.651 et interprète les données d ’ Aristote et des Arabes sur ce sujet. Il accepte la distinction entre l ’ intellect agent et l ’ intellect possible : mais d ’ abord comme Alexandre de Halès et saint Thomas, il fait de l ’ un comme de l ’ autre une faculté de l ’ âme, et refuse de voir dans l ’ intellect agent une réalité distincte et la dernière des intelligences célestes : la négation de l ’ intellect agent séparé est, chez lui, un aspect de ce même état d ’ esprit qui le détourne d ’ accepter un intermédiaire quelconque entre Dieu et l ’ âme. De plus, l ’ intellect agent n ’ est pas à l ’ intellect possible comme un pur agent à un pur patient ; l ’ intellect agent aide simplement l ’ intellect possible à faire l ’ opération d ’ abstraction nécessaire pour extraire des images de l ’ imagination les formes intelligibles ; mais c ’ est l ’ intellect possible qui fait lui-même l ’ opération et qui livre à l ’ intellect agent les espèces qu ’ il contemple [833] . Enfin, l ’ abstraction sur le sensible n ’ est pas pour lui le seul type de connaissance intellectuelle : l ’ empirisme d ’ Aristote n ’ est juste que dans la connaissance du monde sensible ; quand il s ’ agit des principes, des vertus morales et de Dieu, notre manière de connaître est toute différente ; pour la connaissance des principes, tels que celui de contradiction, il y faut bien des espèces sensibles ; mais la « lumière naturelle » qui est en nous permet de les acquérir immédiatement et sans nul raisonnement ; quant aux vertus morales, la connaissance n ’ en est due à aucune espèce sensible, mais à l ’ inclination que nous sentons en nous vers le bien et à la connaissance immédiate que cette inclination est droite ; enfin Dieu nous est connu par simple réflexion sur nousmêmes, puisque nous sommes faits à son image. En un mot, sous le nom de connaissance de nous-même et de Dieu, saint Bonaventure admet une connaissance directe qui ne passe pas par le circuit du sensible.
Si l ’ on veut maintenant justifier cette connaissance et voir p.652 en quoi consiste sa vérité, on sera amené à la rapporter toute à l ’ illumination divine. Bonaventure part ici du vieux principe platonicien (repris par Avicenne), selon lequel il n ’ y a de connaissance que là où l ’ esprit atteint l ’ être, c ’ est-à-dire une réalité stable et identique. Or atteindre l’être, ce n ’ est pas précisément voir Dieu, ni voir les idées et les raisons éternelles en Dieu ; l’idée de l ’ être est comme un cadre que nous nous efforçons à appliquer à des réalités qui ne la comportent pas exactement et qui, pour cette raison, ne peuvent être l ’ objet d ’ une connaissance certaine et entière ; mais cette idée ne peut exister que grâce à la présence et à l ’ influence en nous de ces raisons éternelles que nous ne possédons pas ; et ainsi la connaissance la plus humble se définit non pas en elle-même mais à titre d ’ image effacée de la connaissance pleine et certaine que Dieu a de sa propre raison.
La philosophie de saint Bonaventure représente donc un type de pensée d ’ une grande importance historique. Elle est dominée par ce qu ’ il considère comme la vérité fondamentale : l ’ âme a une destinée surnaturelle qui nous est connue par la révélation chrétienne. Dans la recherche des autres vérités, on ne peut procéder comme si nous ignorions celles-là, et comme si nous avions une méthode autonome pour déterminer le vrai et le faux : toutes les vérités s ’ ordonnent au contraire par
Weitere Kostenlose Bücher