Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
rapport à celle-là. La nature et l ’ âme ne se comprennent que tournées vers Dieu : la nature comme la trace des attributs divins, l ’ âme par sa fonction essentielle d ’ amour qui nous unit à Dieu.
Il est aisé de voir pourtant que, historiquement, le principe de cette philosophie, bien qu ’ absorbé par des penseurs chrétiens, ne touche en aucune façon à l ’ orthodoxie chrétienne. Nous reconnaissons ici l ’ antique principe néoplatonicien, né en dehors de toute influence chrétienne : un être n ’ est pleinement ce qu ’ il est qu ’ en vertu de la conversion qui le tourne vers son propre principe dont il reçoit les effluves ; doctrine dont les œuvres d ’ un successeur de Bonaventure, Matthieu d ’ Aquasparta p.653 (1235-1302), maître de théologie à Paris, puis général de l ’ ordre en 1287 devait montrer encore plus nettement l ’ opposition à l ’ aristotélisme de saint Thomas. Dans ses Quaestiones de cognitione , il relève l ’ empirisme de « certains philosophes » qui nient qu ’ aucune influence spéciale de la lumière divine soit indispensable dans la connaissance, et qui attribuent toute connaissance à la faculté naturelle de l ’ intellect agent, reniant ainsi l ’ autorité du « principal docteur » saint Augustin. Il affirme à l ’ inverse que « tout ce qui est connu avec certitude d ’ une connaissance intellectuelle est connu dans les raisons éternelles et dans la lumière de la première vérité ». Même fidélité au platonisme chez le franciscain Jean Peckham (1240-1292), élève de Bonaventure à Paris et maître de théologie à l ’ Université d ’ Oxford. La force de ce mouvement platonico-augustinien nous fait comprendre les conditions dans lesquelles s ’ est développé le mouvement inverse, le mouvement aristotélicien, chez Albert le Grand et saint Thomas.
VII. — ALBERT LE GRAND
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Le premier des grands péripatéticiens chrétiens est le dominicain Albert le Grand (1206-1280) le « docteur universel » ; Albert n ’ est pas seulement le maître de théologie qui enseigna à Paris de 1245 à 1248 et fut lecteur à Cologne de 1258 à 1260 et de 1270 à sa mort : si, de 1240 à 1256, il écrivit des paraphrases de tous les traités connus d ’ Aristote, en y intercalant même des traités de son cru sur les questions qui rentraient dans le plan d ’ Aristote mais avaient été négligées par lui (comme le De mineralibus ) et en y ajoutant le commentaire de l ’ apocryphe De Causis (qu ’ il sait n ’ être pas d ’ Aristote et qu ’ il considère comme extrait par David le Juif des écrits d ’ Aristote et d ’ Avicenne), il est aussi l ’ auteur de traités de théologie dogmatique comme le Commentaire des Sentences et la Summa de creaturis et d ’ écrits mystiques comme le commentaire du pseudo p.654 Denys ou le De adhaerendo Deo ; enfin il joue un rôle actif comme défenseur de l ’ ordre des Prêcheurs contre les attaques de Guillaume de Saint-Amour en 1256, comme légat du pape et prédicateur de la croisade en Allemagne (1263).
Extrême diversité et extrême étendue qui, dans la joie où il est de faire l ’ inventaire des richesses contenues dans l ’ encyclopédie d ’ Aristote et d ’ ajouter même à ces richesses, lui masquent la plupart du temps le peu de cohérence de sa pensée. Albert paraît en avoir le sentiment, et c ’ est alors qu ’ il fait des déclarations comme celles-ci : « En tous mes livres philosophiques, je n ’ ai jamais rien dit de mien, mais j ’ ai exposé aussi fidèlement que je l ’ ai pu les opinions des Péripatéticiens ;. .. s ’ il se trouve que j ’ ai quelque opinion à moi, nous la ferons paraître, s ’ il plaît à Dieu, dans nos livres théologiques plutôt que dans nos traités philosophiques » [834] .
Aussi est-ce un jeu d ’ opposer Albert à lui-même et son augustinisme à son péripatétisme. Parfois il se contente de juxtaposer. Ainsi dans la Somme de Théologie [835] , il avertit qu ’ il y a une double notion de l ’ âme, la notion aristotélicienne de l ’ âme comme forme du corps organisé, et la théorie théologique qu ’ il tire surtout des écrits de saint Augustin : d ’ un côté la description du mécanisme de la vie intellectuelle et volontaire, d ’ un autre côté la description de facultés étagées les unes au-dessus des autres qui montrent l ’ âme s ’ élevant
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