Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
place d ’ abord en une réalité intelligible qu ’ elle prétend saisir par une intuition spéciale, donnant d ’ ailleurs un nom différent à cette intuition suivant la hauteur qu ’ elle atteint dans la réalité divine. Ainsi Aristote saisit Dieu comme achèvement de l ’ explication rationnelle de l ’ univers ; c ’ est ce que peut en atteindre une raison qui est assujettie à partir des données sensibles ; mais elle ne peut aller plus loin.
Encore peut-elle y arriver parce que la connaissance, nous l ’ avons déjà dit, atteint l ’ être. La théorie thomiste de la connaissance peut s ’ envisager à un double point de vue. Par un aspect, elle est universelle et, s ’ étendant à tous les modes de la connaissance quels qu ’ ils soient, elle indique les conditions de toute connaissance ; par un autre aspect, elle est critique et détermine les limites et les conditions spéciales à la connaissance humaine. Sous le premier aspect, elle s ’ inspire d ’ une formule d ’ Aristote, que Plotin et Proclus (dans les Éléments de théologie , identiques au De Causis ) avaient développée avec abondance : « L ’ âme est en quelque manière toutes choses » ; elle est en quelque manière les choses sensibles, qu ’ elle perçoit par les sens, puisque la sensation, acte commun du sentant et du senti, laisse dans l ’ âme la forme des choses, sans leur matière, mais avec tous les accidents qui les individualisent ; d ’ autre part, l ’ intelligence en acte est identique à la chose même qu ’ elle comprend ; il n ’ y a pas de différence entre la science et la chose sue. Et, qu ’ il s ’ agisse de la connaissance sensible ou de la vision béatifique, la connaissance est une certaine présence, impossible à analyser, de l ’ objet connu dans le sujet connaissant. Elle n ’ est donc point, comme on le dit souvent par erreur, une assimilation. Il faut dire seulement (et c ’ est là le second aspect) que, en vertu du principe suivant : « Le connu est dans le connaissant selon le mode du connaissant » , il peut y avoir p.664 des cas où l ’ assimilation, c ’ est-à-dire l ’ opération par laquelle le connu est rendu semblable au connaissant, est une condition préalable de la connaissance ; par exemple, quand le sujet et l ’ objet sont aussi différents que l ’ âme et la chose sensible, la connaissance intellectuelle ne peut avoir lieu que par une « espèce » , qui est à la fois une forme propre de l ’ intellect, et une image ou similitude de la chose comprise ; c ’ est l ’« espèce impresse » , par laquelle l ’ intellect, comprenant la chose, commence son opération qu ’ il termine à la définition ou « espèce expresse. » Mais nulle opération de ce genre n ’ est utile dans la vision béatifique ou dans la connaissance que Dieu a de sa propre essence ; elle ne définit donc pas toute connaissance ; la connaissance prise en général, est bien une présence directe de l ’ être [840] .
XI. — SAINT THOMAS ( suite ) :
LES PREUVES DE L ’ EXISTENCE DE DIEU
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Mais il suit des limites de la connaissance humaine que les régions de l ’ être que la raison peut atteindre ne dépassent pas les bornes dessinées par Aristote, c ’ est-à-dire le monde physique terminé par une théologie envisageant Dieu comme premier moteur : croire que l ’ on peut connaître l ’ existence de Dieu directement et par évidence, sans passer par le monde sensible, croire qu ’ on ne peut l ’ atteindre que par la foi, voilà deux erreurs inverses l ’ une de l ’ autre, mais qui reposent sur le même principe : c ’ est ce faux principe qu ’ on ne peut parler de l ’ existence de Dieu que lorsqu ’ on a d ’ abord connu ce qu ’ il est. Les uns disent (comme saint Anselme) que, le nom de Dieu signifiant l ’ être tel qu ’ on ne puisse pas en concevoir de plus grand, il s ’ ensuit que Dieu existe. Ils disent aussi que, l ’ être p.665 de Dieu étant identique à son essence, poser l ’ essence de Dieu c ’ est le poser existant. Mais les autres, se défiant des forces de la raison, et voyant que la quiddité de Dieu ni même la signification du nom de Dieu ne peuvent être atteintes, en concluent que toute démonstration de son existence est impossible.
Les seconds ont raison en ce qu ’ ils nient : notre raison est trop faible pour saisir dans la perfection et la grandeur de Dieu
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