Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
la raison de son existence ; mais s ’ ils concluent que son existence ne peut être démontrée, c ’ est qu ’ ils ignorent qu ’ il y a deux genres de démonstrations, la démonstration quid qui prend la quiddité comme moyen et va de l ’ essence à ses propriétés, ou de la cause à l ’ effet, et la démonstration quia , qui procède de l ’ effet à la cause, et peut déterminer la cause en son rapport à l ’ effet [841] . Or, non seulement lorsqu ’ il s ’ agit de l ’ existence de Dieu, mais d ’ une manière absolument générale, saint Thomas considère la démonstration quid comme inaccessible à l ’ homme. L ’ on se rappelle qu ’ une des difficultés de la théorie d ’ Aristote était l ’ impossibilité de découvrir un procédé rationnel pour atteindre la quiddité des êtres : nul, plus que saint Thomas, ne se rend compte de cette lacune du péripatétisme, dont il fait une lacune de la raison humaine :« Même dans les choses sensibles, les différences essentielles nous sont inconnues ; et c ’ est pourquoi elles sont désignées par des différences accidentelles qui proviennent des différences essentielles, de la même manière que la cause est signifiée par son effet ; par exemple on pose bipède comme différence d ’ homme . »
Le genre de démonstration qui va de l ’ effet à la cause, de l ’ accident à l ’ essence, démonstration qui nous permet de poser l ’ existence d ’ une chose sans connaître préalablement la nature de cette chose et sans rien en savoir sinon qu ’ elle produit l ’ effet qui nous a amené jusqu ’ à elle, c ’ est là le domaine normal de l ’ esprit humain dans toutes ses recherches ; et les p.666 quatre voies qui nous amènent à poser l ’ existence de Dieu ne supposent aucun mode spécial de connaissance, mais ne font qu ’ appliquer à cette question les procédés de raisonnement les plus ordinaires.
La première est empruntée au huitième livre de la Physique d ’ Aristote : « Tout ce qui est mû est mû par autre chose ; ce moteur, à son tour, ou bien est mû ou bien ne l ’ est pas ; s ’ il ne l ’ est pas, nous avons ce que nous cherchions, un premier moteur immobile, et c ’ est ce que nous appelons Dieu ; s ’ il est mû, il est mû par un autre, et il faut alors ou bien procéder à l ’ infini (ce qui est impossible) ou bien en venir à un moteur immobile.
La seconde est empruntée à la Métaphysique :« Dans toutes les causes efficientes ordonnées, le premier terme est cause du moyen, et le moyen cause du dernier, qu ’ il y ait d ’ ailleurs un ou plusieurs moyens ; la cause supprimée, ce dont elle est la cause est aussi supprimé ; donc, le premier terme supprimé, le moyen ne pourra être cause. Mais, si l ’ on procède à l ’ infini dans les causes efficientes, nulle cause ne sera la première : donc toutes les autres, qui sont les termes moyens, seront supprimées, ce qui est manifestement faux ; donc il faut poser une cause première efficiente qui est Dieu. »
La troisième voie part de l ’ expérience que nous faisons de la naissance et de la corruption des êtres ; de ce qu ’ ils se corrompent, nous concluons qu ’ ils sont seulement possibles, c ’ est-à-dire qu ’ il y a un temps où ils ont été amenés à l ’ existence par un être déjà existant. Mais si tous les êtres étaient seulement possibles, il suit qu ’ il y aurait un moment ou aucun être n ’ aurait existé ; mais il serait alors impossible qu ’ aucun d ’ eux commençât à exister, et il n ’ y aurait rien, ce qui est manifestement faux. Il faut donc poser un être nécessaire par soi, que l ’ on appelle Dieu.
La quatrième voie emploie le second livre de la Métaphysique . Nous pouvons comparer deux affirmations au point de vue p.667 de leur vérité, et voir qu ’ elles sont l ’ une plus fausse, l ’ autre moins fausse : comparaison qui n ’ est possible qu ’ en se référant à un vrai absolu ou un être absolu qui est Dieu.
La cinquième voie est empruntée à Jean Damascène et à Averroès au second livre de la Physique : « Il est impossible que des choses contraires et discordantes concordent en un seul ordre, sinon grâce au gouvernement d ’ un être qui attribue à tous et à chacun sa tendance vers une fin déterminée : or nous voyons dans le monde des choses de nature diverse concorder en un ordre unique et
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