Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
de castor en médecine (Pline 32, 13) et tant d ’ autres faits controuvés qu ’ il emprunte à l ’ expérience des rustres et des vieilles femmes.
A l ’ expérience de la nature ainsi comprise correspond l ’ expérience intérieure en matière de choses spirituelles, les illuminations reçues par les patriarches et les prophètes ; elle aussi, à son plus haut degré, elle est tout à fait secrète : audessus des vertus, des dons du Saint-Esprit et de la paix du seigneur, il y a « les ravissements et leurs diverses espèces, qui, chacune à sa manière, font voir bien des choses qu ’ il n ’ est pas permis à l ’ homme de dire » . Celui qui détient ces secrets spirituels possède d ’ ailleurs par là même les sciences humaines.
La doctrine de Bacon, avec tous ses défauts et par ses défauts mêmes, est un admirable témoin de l ’ impatience avec laquelle certains hommes du XII I e siècle supportaient les cadres dans lesquels la « philosophie des Parisiens » voulait enfermer l ’ homme et l ’ univers. Ils ont le sentiment que la réalité véritable est p.699 en dehors de ces cadres, dans un abîme de puissances merveilleuses, où quelques hommes rares, illuminés d ’ une sagesse supérieure, savent seuls se guider.
XIX. — WITELO ET LES PERSPECTIVISTES
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D ’ un esprit analogue viennent les travaux de Witelo, né en Pologne entre 1220 et 1230 et qui, résidant en Italie, fut, en même temps que saint Thomas, l ’ ami de l ’ helléniste Guillaume de Moerbeke ; c ’ est sur la demande de celui-ci qu ’ il écrivit une Perspectiva , simple compilation des travaux d ’ Euclide, d ’ Apollonius de Perge, et de l ’ Optique de Ptolémée, traduite en latin dès le XI I e siècle, mais surtout de l ’ Optique de l ’ arabe Alhazen dont il traduit les remarquables considérations sur les perceptions visuelles acquises, base de toute la psychologie moderne de la perception. Il a de plus écrit un traité De Intelligentiis où, suivant le livre Des causes , il étudie les trois hypostases néoplatoniciennes ; la Cause première ou l ’ Un, l ’ Intelligence et l ’ âme.
Entre la métaphysique néoplatonicienne et la perspective, il y a chez lui la même affinité que chez Robert Grosseteste. Le symbolisme lumineux pour marquer l ’ action de l ’ Un est sans doute appuyé sur saint Augustin et l ’ Épître aux Romains ; mais il le développe par des considérations de perspectiviste : la lumière est à la fois un corps simple et par là même capable de se multiplier ;« au corps le plus simple est due la plus grande extension ; à l ’ eau est due une plus grande extension qu ’ à la terre, à l ’ air qu ’ il n ’ en est dû à l ’ eau, au feu qu ’ à l ’ air » . La lumière, qui est le plus subtil des corps, a donc la plus grande extension ; elle loge en elle les corps ; elle permet aux modèles de se refléter dans la matière et elle est ainsi le principe de la connaissance. A cette métaphysique néoplatonicienne correspond un trait déjà remarqué plusieurs fois qui l ’ oppose au p.700 thomisme : c ’ est la prépondérance de l ’ amour sur la connaissance :« Dans le même être, l ’ amour précède naturellement la connaissance... ; et l ’ amour est achevé par la connaissance, non pas que la connaissance soit le complément de l ’ amour, mais parce que, du fait de la connaissance, il se multiplie et vit en lui-même... La connaissance n ’ est pas la perfection de l ’ amour ; mais plutôt, tout au contraire, la connaissance s ’ ordonne par rapport à la délectation et à l ’ amour. »
Nous trouvons enfin en Dietrich de Freiberg, né vers 1250, maître de théologie à Paris en 1297, et qui mourut après 1310, cette même union des études expérimentales, surtout de l ’ optique, et de la métaphysique néoplatonicienne. Auteur d ’ une théorie mathématique de l ’ arc-en-ciel où il explique le phénomène par une double réfraction suivie d ’ une réflexion sur les gouttes de pluie, il adhère, quoique appartenant à l ’ ordre des Prêcheurs, à une philosophie augustinienne et néoplatonicienne bien différente de la doctrine officielle de l ’ ordre. Suivant les Éléments de théologie de Proclus et la doctrine des trois hypostases, il accepte les images de la production des choses par émanation et de leur conversion, bien qu ’ il les concilie avec la création.
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