Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
histoire et dans la nature commencent à apparaître ; la philologie, d ’ une part, la physique expérimentale, d ’ autre part, donnent sur l ’ homme et sur les choses des enseignements nouveaux ; le drame chrétien, avec ses moments historiques, création, péché, rédemption ne peut décidément servir de cadre à une nature dont les lois lui sont tout à fait indifférentes, à une humanité dont une partie l ’ ignore complètement, à une époque où les peuples chrétiens eux-mêmes, se rendant indépendants du pouvoir spirituel, font prévaloir dans leur politique des buts tout à fait étrangers aux fins surnaturelles de la vie chrétienne, ou même délibérément contraires à l ’ idée de l ’ unité de la chrétienté.
Un changement si vital a une infinité de répercussions. La plus importante pour nous est de mettre au premier plan les hommes de pratique, hommes d ’ action, artistes et artisans, techniciens en tout genre aux dépens des méditatifs et des spéculatifs ; la conception nouvelle de l ’ homme et de la nature est une conception que l ’ on réalise plutôt qu ’ on ne la pense ; les noms des philosophes proprement dits, de Nicolas de Cuse à Campanella ont alors bien peu d ’ éclat à côté de ceux des grands capitaines et des grands artistes ; tout ce qui compte est alors technicien en quelque sens que ce soit ; le type achevé est Léonard de Vinci, à la fois peintre, ingénieur, mathématicien et physicien ; mais il n ’ est guère de philosophe qui ne soit en même temps médecin, ou tout au moins astrologue et occultiste ; la politique de Machiavel est une technique destinée aux princes italiens ; les humanistes, avant d ’ être des penseurs, sont des praticiens de la philologie, soucieux des p.743 méthodes qui leur permettront de restituer les formes et les pensées des anciens.
Pourtant, et c ’ est peut-être là le grand paradoxe de l ’ époque, les philosophes de la Renaissance, depuis Nicolas de Cuse jusqu ’ à Campanella, s ’ efforcent d ’ organiser leur pensée autour de l ’ ancien schème de l ’ univers ; le retour au platonisme, tel qu ’ on le constate chez beaucoup d ’ entre eux, loin de les conduire à des idées neuves, ne fait que les persuader davantage que la grande tâche de la philosophie est d ’ ordonner les choses et les esprits entre Dieu comme principe et Dieu comme fin. Le contraste entre ce schème vieilli et la nouvelle philosophie de la nature qu ’ ils intègrent en leur système fait, nous le verrons, la grosse difficulté de leur doctrine.
II. — LES DIVERS COURANTS DE PENSÉE
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Ces réflexions nous permettront de séparer en cette période si confuse, plusieurs courants d ’ idées relativement distincts : il y a d ’ abord le courant platonicien. On se souvient que le platonisme avait été, dès les premiers siècles chrétiens, bien accueilli par la nouvelle religion ; les humanistes platoniciens du X V e siècle, comme Marsile Ficin, gardent encore un très sérieux espoir de trouver dans le platonisme une synthèse philosophique favorable au christianisme : ils continuent, tout en l ’ ignorant, la tradition des Chartrains et d ’ Abélard. Le second courant est celui des averroïstes de l ’ Université de Padoue ; ceux-là suivent une tradition qui, depuis Siger de Brabant, est ininterrompue et se transmet à Padoue même, au début du XI V e siècle, par Pietro d ’ Abano : elle repose sur une interprétation d ’ Aristote, opposée à celle du péripatétisme chrétien, où l ’ on voit un Aristote naturaliste, négateur de la providence et de l ’ immortalité de l ’ âme, affirmant en revanche un rigoureux déterminisme : tradition où il faudrait se garder de voir p.744 l ’ aurore de la science moderne ; car les padouans sont des réactionnaires qui ont maintenu l ’ esprit de la physique d ’ Aristote. Le troisième courant est celui des savants véritables pour qui le modèle n ’ est ni Platon ni Aristote, mais Archimède, c ’ est-à-dire l ’ homme qui a su le premier unir la mathématique à l ’ expérience : Archimède, complètement ignoré du Moyen âge, amène d ’ un bond à un état de la science beaucoup plus avancé que tout ce que pouvait enseigner la tradition. Un quatrième courant non moins original que le troisième, et qui n ’ aboutit à aucune formule fixe et déterminée est celui des moralistes qui, de même
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