Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
voyaient plutôt une purification qu ’ un incendie matériel.
Dans le christianisme d ’ Eckhart, le Christ, incarné en Jésus, agit moins comme rédempteur du péché d ’ Adam que comme modèle, comme l ’ homme chez qui se trouve consommé tout p.736 ce que l ’ âme humaine recherche, l ’ union parfaite de Dieu et de la créature. L ’ aspect historique et juridique, sacramentel, de la doctrine chrétienne disparaît presque chez lui ; l ’ incarnation du Christ, qui aurait eu lieu même sans le péché d ’ Adam, n ’ a nullement pour raison d ’ être principale de donner satisfaction à Dieu pour ce péché ; le Christ est plutôt le guide des âmes par qui l ’ univers retourne à Dieu.
De la pensée d ’ Eckhart, les mystiques allemands. du XIV e siècle recueillent moins la théorie métaphysique qu ’ une règle intérieure de vie : Jean Tauler (1300-1361), Henri Suso (1300-1365) sont surtout des prédicateurs ; le Flamand Jean Ruysbroeck (1293-1381), prieur du couvent de Grünthal près de Bruxelles, par son goût pour l ’ interprétation allégorique de l ’É criture, fait songer à la piété de Philon beaucoup plus qu ’ au don spéculatif de Plotin :« Il faut, dit-il dans l ’ Ornement des noces spirituelles , que l ’ âme comprenne Dieu par Dieu ; mais ceux qui voudraient savoir ce que Dieu est et l ’ étudier, qu ’ ils sachent que c ’ est défendu. Ils deviendraient fous. Toute lumière créée doit faillir ici ; cette quiddité le Dieu dépasse toutes les créatures ; on croira les articles de foi et on ne tentera pas de les pénétrer..., voilà la sobriété » [877] .
Texte intéressant qui nous rend témoins de la profonde scission des esprits en cette fin du XI V e siècle ; plus rien de cet univers où le monde conduit à Dieu, et où la raison s ’ achève par la foi. Ou bien le nominalisme, où la raison dirigée par l ’ expérience, commence à connaître les lois naturelles des choses, et où la foi ne peut se surajouter à la raison que par un décret arbitraire, ni faire connaître en Dieu qu ’un e puissance absolue et sans motif ; ou bien le mysticisme qui va directement à Dieu sans passer par la nature, et ne retrouve ensuite la nature que toute pénétrée de Dieu et en quelque sorte résorbée en lui. Ce qui est plus grave peut-être, c ’ est que cette scission répond p.737 à la séparation de deux milieux intellectuels : d ’ une part les Universités, où se crée à ce moment une véritable aristocratie intellectuelle, et, où s ’ élaborent les méthodes de la science, d ’ autre part les couvents dont la vie spirituelle, beaucoup plus liée à celle des masses, comporte, à côté des spéculations de profonds mystiques, des mouvements populaires très étendus, plus sociaux qu ’ intellectuels.
Bibliographie
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CHAPITRE VII
LA RENAISSANCE
I. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX
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p.739 Dans les milieux humanistes du X V e siècle, si différents des Universités, sous la protection des princes ou des papes, se réunissent indifféremment laïques et ecclésiastiques, à l ’ Académie platonicienne dans la Florence de Laurent le Magnifique, comme à l ’ Académie aldine à Venise. En ces milieux nouveaux, il n ’ est aucune considération pratique qui puisse prévaloir sur le désir du savoir comme tel ; l ’ esprit, tout à fait libéré, n ’ est plus asservi, comme dans les Universités, à la nécessité d ’ un enseignement qui forme des clercs. Au siècle suivant est fondé le Collège de France qui, distinct de l ’ Université, est fait non pour classer le savoir acquis et traditionnel, mais pour promouvoir les connaissances nouvelles.
Cette liberté produit un pullulement de doctrines et de pensées, que nous voyions poindre pendant tout le Moyen âge, mais qui, jusque-là, avaient pu être refoulées ; ce mélange confus, que l ’ on peut appeler naturalisme, parce que, d ’ une manière générale, il ne soumet l ’ univers ni la conduite à aucune règle transcendante, mais en recherche seulement les lois immanentes, contient, à côté des pensées les plus viables et les plus fécondes, les pires monstruosités ; avant tout, on affecte de tourner le dos à tout ce qui s ’ est fait jusqu ’ ici :« Laurent Valla (écrit le p.740 Pogge aussi humaniste et épicurien que l ’ était son ami) blâme la physique d ’ Aristote, il trouve barbare le latin
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